Dangerosité et enfermement

Ci-dessous, le compte-rendu collectif des auditeurs syndiqués ayant participé au stage syndical la DANGEROSITE des 24 et 25 septembre 2011 (attention, c'est dense!) .


1ERE TABLE RONDE : DANGEROSITE SOCIALE ET CRIMINOLOGIE : PEUT-ON PREVOIR LE COMPORTEMENT A VENIR D’UN INDIVIDU ?

La notion de dangerosité n’est pas juridiquement définie, ce qui met aujourd’hui les magistrats dans une position difficile, mais également d’autres acteurs tels que les psychiatres (soit parce qu’ils n’auront pas su soigner, soit parce qu’ils n’auront pas su évaluer).
Plusieurs questions :
Qu'est ce que la dangerosité ? Est-ce possible de l'évaluer et comment ?

Intervenants :
Jean Louis Senon, psychiatre et professeur à l’université de Poitiers.
Jean Claude Bouvier, chargé de l'application des peines à Créteil.
Roland Coutanceau, psychiatre expert auprès de la Cour d’appel de Versailles et de la Cour de cassation.

Jean- Louis SENON

Concept de dangerosité n'est qu'une renaissance. C’est un concept qui revient de façon cyclique, environ tous les 25 ans.
Cf. Christian Noewerst (dangerosité et justice pénale, PUF, voir introduction au colloque de Louvain) : la notion de dangerosité a une origine politique.

La notion de dangerosité est à rapprocher d'une volonté politique double :

  • Discipliner et exercer un contrôle sur une population
  • Réinsérer l'agresseur au groupe social

Peut-on prévoir le comportement de l'individu ?

Edgard Morin, L'homme imprévisible : il faut apprendre à vivre avec l’imprévisible, on ne peut pas prévoir l’homme.

Ian Hacking : le gouvernementalisme néolibéral caractérise nos sociétés. Se traduit par une tendance de nos sociétés à vouloir domestiquer le hasard. Evolution de l’Etat vers la gestion des risques par la réglementation en strates, avec l'idée de protéger le citoyen de tout événement.

Robert Musil, l’Homme probable, le hasard, la moyenne et l’escargot de l’histoire : usage de la probabilité dans le raisonnement inductif dit le besoin pour tous d’avoir des données chiffrées. Aucune décision ne semble désormais pouvoir se prendre sans statistiques.

Les statistiques en justice: attente sociale et demande de justice, presse université de Louvain.

=> Ainsi, on a clairement quitté le modèle welfare mis en place dans les années 1950, qui reposait essentiellement sur le pari sur l'homme et son amendabilité. Au contraire, le modèle néolibéral actuel pose le principe de la présomption de rationalité de l'auteur (du mineur également).

Parallèlement, la question de la dangerosité se pose principalement sur les pédophiles et les malades mentaux. Cette cassure, d'un modèle politique à l'autre, est sensible dans tous les pays. L'époque est à la réduction maximale des risques sociaux. Chacun se retrouve alors responsable de sa propre trajectoire. Par réaction, les crédits alloués à la prévention se trouvent réduits. La société doit se contenter de régler à moindre coût les déviances, sans devoir remédier aux causes collectives de ses déviances => ciblage sur populations à risque pour réduire les désordres.

On va donc juger l'homme, non les faits pour lesquels il est renvoyé ; on appréhende surtout la situation précriminelle afin de prédire le comportement, selon plusieurs modèles :

  • Modèle psychiatrique :

La notion de dangerosité psychiatrique repose sur la connaissance du délire afin d'apprécier les chances de passage à l'acte. Si l'on ajoute des troubles psychiatriques et un état dépressif, on arrive automatiquement à un potentiel de passage à l'acte, qu'il est donc possible de prédire, donc de prendre en charge en amont.

Dangerosité psychiatrique existe dans l'évolution d'une maladie mentale; patient qui est le frère de jésus, enseignant, qui à plusieurs reprises interrompt ses cours et monde au clocher de son village, investi par la vierge de missions; or missions de plus en plus chaudes: d'abord, bénir tous les élèves de l'école laïque; diagnostic d'une schizophrénie paranoïde. Patient pensait que c'était du à la surcharge de travail; arrête le traitement; remonte au clocher; de là, va témoigner à la préfecture que Dieu est bien présent mais par le feu ! Troisième fois, après stabilisation de ses troubles pdt 5 ou 6 ans, à l'arrêt du traitement, est allé à un échelon politique plus élevé.

=> idée qu'il y a un persécuteur et évaluation du passage à l'acte. Traitements permettent de limiter le passage à l'acte.

Les statistiques démontrent que les malades mentaux sont 17 fois plus victimes qu'auteurs ; ils ont 5 à 7 fois plus de chance que la population générale de commettre un comportement violent ; 3,7% des agressions sexuelles sont le fait d'un malade mental. On peut donc certes prendre en charge la dangerosité des malades mentaux, mais leur place dans le crime reste tout à fait marginale.

  • Modèle psychologique :


Que motive le passage à l'acte dans la période antérieure et la période contemporaine? La période qui précède l'infraction est une mise en crise, une mise en impasse. Quelle est alors la nature de la vulnérabilité psychique quand rien ne vient prendre le relais de ce qui est mis en défaut. Le malade mental ne procède pas à un traitement normal de la crise, mais passe à l'acte.
Dans la période proprement criminelle on s'appuie sur la verbalisation de l'acte, sur les relations psychiques de la victime, sur la relation auteur/victime.
  • Modèle mathématique :

Pour déterminer les probabilités du crime, on a recours à un modèle mathématique : l'actuariel. C'est l'analyse d'une cohorte d'individus, non d'une personne. C'est donc une détermination statistique et non clinique de la dangerosité. On cherche à évaluer la propension au crime du fait de l'appartenance à un groupe. On entend par là prédire le comportement d'un individu, et le juger conformément à une grille, une table de sentence prédéfinie.

Les méthodes actuarielles sont nées en 1928 à Chicago avec Ernest Burgess (LSIR) qui a fait une étude des décisions de libération conditionnelle et des récidives. Il constate que tous la majorité des récidivistes sont des hommes, jeunes, ayant eu des antécédents de violence, dont les parents se sont séparés, qui ont été en échec scolaire, etc. L'école de Chicago considère que l'on peut réduire les critères de la récidive à 6 ou 7 facteurs.
Il voulait ensuite prendre en compte cette évaluation statistique pour appliquer un traitement pénal particulier à l'individu en fonction du groupe auquel il appartient. Cette logique s'applique notamment au terme de la peine, au moment du choix de la liberté conditionnelle.

Ces idées sont venues se confondre avec celles du courant de la nouvelle pénologie (Feeley et Simon) : on substitue au jugement de l'individu le jugement de l'individu comparé à un groupe. Un classement des individus est opéré pour déterminer une sentence adaptée, sur le modèle de l'assurance. Ceci permet également la surveillance et la prévention à l'intention des populations à risque (les prédateurs).

Plusieurs objectifs attachés à cette méthode :
  • objectif économique : réduire les coûts en prévoyant les risques. En classant les individus selon le risque potentiel, cela permet de concentrer les moyens de surveillance sur les individus à risque et de limiter les coûts de surveillance pour les autres.
  • Objectif d'uniformisation des sentences (propre aux Etats-Unis), pour + d'égalité, pas soumis à la seule appréciation du jury. Cela rassure en plus le jury, notamment lorsqu'il a à prononcer une peine de mort....

Comment construire une table actuarielle ? 2 types de facteurs
facteurs statiques, ne bougeant pas,
  • l'âge, risques plus important en dessous de 35 ans
  • le sexe, homme/femme
  • séparation du couple parental
  • l'échec scolaire
  • le statut socio économique
facteurs dynamiques
  • le lieu de vie
  • les éléments affectifs
  • capacité à trouver un travail
  • capacité à reconnaître ses problèmes
  • l'acceptation de recourir à des soins

=> Mettre plus ou moins de facteurs dynamiques pour une table actuarielle plus ou moins rigoureuse. Les facteurs dynamiques permettent en effet de laisser un peu + d'espoir d'évolution.

Il existe plusieurs canons en la matière (VRAG, SORAG, modèle de Hanson, Statique 99, HCR 20, etc.) Ce dernier inclut même un guide de l'évaluation clinique pour le psychiatre, pour être sûr qu'il n'oublie rien dans son entretien. Il insiste sur la nécessité d'éviter le cut off, soit la fixation d'une frontière fixe entre le dangereux et le non dangereux ; il insiste également sur le nécessaire équilibre des facteurs statiques, dynamiques, historiques et futurs.

Il faut cependant noter que certains facteurs ne sont pas considérés comme pertinents, tels le déni de l'acte, sa banalisation ou la gravité des blessures infligées..

Échelle de psychopathie de Hare : existe dans toutes les tables actuarielles avec 20 items comme la surestimation de soi, besoin de stimulation et tendance à l'ennui, tendance au mensonge, manipulation, absence de remords, affect superficiel, insensibilité et absence d'empathie, parasitisme …
=> Evaluation de la personne sur le score au test de psychopathie.

La VRAG, échelle la plus utilisée aux US, Échelle évaluant le risque de violence prenant en compte le test de psychopathie, avec l'évaluation du niveau scolaire, la séparation familiale, fait de n'avoir jamais été marié ou en couple, le score de schizophrénie, etc … permettant de séparer les violents des non violents.

Pour les auteurs d'infractions sexuelles, la SORAG. Éléments de casier judiciaire représentant 50% de l'évaluation.

La RRASOR, de Hanson, comportant seulement 4 items. Casier judiciaire, âge, sexe de la victime, le type de relation à la victime.

La statique 99, 10 items, là encore presque uniquement des éléments du casier judiciaire. Laisse très peu de place aux autres éléments de personnalité.

HCR20, outil d'évaluation clinique guidé par le fait que l'on n'a pas oublié certains points que l'on oublie en général lorsque l'on évalue la violence. Choix: il n'y a pas de « cutoff » permettant de dire qu'en dessous ou en dessus de telle note ou est ou on est pas violent.

=> Traitement quasi informatisé du risque de violence, sans recours à un psychologue !

Ccl°: la complémentarité entre méthode actuarielle et psychologique permet d'optimiser.

Rappelons que la plupart de ces méthodes ne sont pas employées en France, n'étant pas validées au regard de la structure démographique du pays. La méthode HCR 20 est en cours de mise en place.


(Audition publique sur la psychopathie, site de la haute autorité de la santé)


Jean-Claude BOUVIER

La France a déjà une réponse concernant la dangerosité, un modèle cohérent. Dans les missions du juge de l'application des peines apparaît ainsi, par exemple, l'obligation de détecter la dangerosité criminologique. Trois lois concernent cette notion.

    • Loi du 12 décembre 2005 : surveillance judiciaire
    • Loi du 25 février 2008 : surveillance de sûreté et rétention de sûreté
    • Loi du 10 mars 2010, qui renforce les dispositifs antérieurs.
Ces lois créent un droit pénal de la dangerosité, et modifient la logique classique de la peine traditionnelle. La logique de ces mécanismes est la prévention de la récidive ; ces mesures viennent parasiter le reste du droit pénal.

Les dispositions sur la surveillance judiciaire, la surveillance de sûreté et la rétention de sûreté font référence et définissent la notion de dangerosité.

Législateur français a donné une définition juridique de la dangerosité, puisqu'il utilise ce terme au travers de ces textes. Modèle français existe, question est de savoir quel est ce modèle et comment agir avec ce domaine. Or, certaines personnes plaident pour l'introduction de méthodes actuarielles pour amender le dispositif.

Législateur associe le terme avec le risque de renouvellement de l'infraction / de récidive et utilise le terme de « trouble grave de la personnalité » qui n'est pas un terme psychiatrique.

Législateur donne la définition de la surveillance de sureté: risque renouvellement de l'infraction et renvoie à l'existence d'une dangerosité criminologique.

Ainsi, la rétention de sûreté s'applique aux individus ayant une propension plus élevée à la récidive doublée d'un trouble grave de la personnalité. Cette mesure, ainsi que le suivi socio-judiciaire, a vocation à s'appliquer sans limitation de temps, après la fin de la peine privative de liberté. Ce sont des instruments dits de protection sociale.

Le droit de la peine contemporain démontre une certaine concurrence (indue) entre les mesures d'aménagement de peine et les mesures de sûreté, alors que leur vocation respective est très différente.

La dernière innovation en matière de sûreté est la suivante : elle interdit au tribunal de l'application des peines, pour certaines peines très lourdes, de prononcer une libération conditionnelle sans l'assortir d'un placement sous surveillance électronique mobile (loi de juillet 2011). C'est une mesure automatique ; on voit bien le débordement des mesures de sûreté dans le champ des aménagements de peine.

De même, pour une personne encourant un suivi socio-judiciaire, une expertise psychologique est obligatoire, en posant la question du risque de réitération de l'infraction.

La notion de dangerosité investit donc tous les domaines du droit pénal. Il n'y a pas de retour en arrière possible à ce stade ; comment alors juger avec ces règles ?
En France, la seule évaluation des délinquants, à ce jour, reste clinique. L'intérêt de l'actuariel serait alors d'interroger les sciences sociales pour éviter l'arbitraire de la seule étude clinique. Il faut un autre point de vue sur la dangerosité.

D'autant qu'à l'origine aux Etats-Unis les méthodes actuarielles ont été utilisées pour favoriser la libération conditionnelle en montrant que les statistiques de récidive n'étaient pas si importantes que cela pour certaines catégories.

Roland COUTANCEAU

L'expertise est un produit hétérogène. Il existe des experts classiques peu enclins à évaluer un risque de passage à l'acte/dangerosité. Un deuxième groupe s'est engagé à comprendre que le passage à l'acte permet de comprendre le sujet, mais sans véritable méthode.

On dispose d'outils qualitatifs, les expertises, et d'outils quantitatifs, les statistiques sur la délinquance et l'actuariel.

  • Outils qualitatifs : sont assez hétérogènes et peuvent parfois être pire que l'actuariel dans la façon de catégoriser. Utiliser le terme de « structure perverse » stigmatise autant l'individu que les méthodes actuarielles.
=> Il existe des mots dogmatiques et des mots terroristes !!

  • Outils quantitatifs :

Des études ont été menées au Centre national d'évaluation (ancien CNO) de Fresnes.

Cette méthode permet ainsi de démontrer que 95% des parents incestueux n'ont pas d'antécédents ; la récidive est extrêmement faible pour ce genre d'infractions. La statistique a ceci d'intéressant qu'elle donne une lisibilité à la délinquance. En dehors du cercle familial, 20% des pédophiles ont des antécédents judiciaires. Parmi eux, il est intéressant de constater que 20% concernent des faits d'escroquerie. Ceci peut s'expliquer par le degré de manipulation exercé dans la pédophilie.

Il faut cependant rester conscient que l'échelle du risque est une réalité probabiliste, pas factuelle. Il faut y adjoindre l'intelligence du praticien, et celle du législateur. L'analyse actuarielle doit être succincte (en nombre d'items analysés), pour poser des tendances, des éléments du risque.

Ainsi en matière de délinquance sexuelle, il existe selon lui trois facteurs cliniques :
  • la dimension de l'égo (parano, mégalo)
  • la fixation des pratiques sexuelles
  • l'obsession de ce fantasme.

Il retient également trois facteurs principaux de récidive pour la pédophilie :
    1. Selon que l'individu a été interpellé socialement sur son comportement
    2. Selon que l'agression se porte sur un enfant extérieur à la famille
    3. Selon que l'individu aura agressé au moins un enfant qui lui est inconnu

Le problème actuel est que la loi, loin d'exploiter intelligemment l'actuariel, procède à une grande systématisation ; or le qualitatif doit venir pondérer les échelles actuarielles. Il existe certes des facteurs de risque statistiques ; les autres relèvent du suivi par le psychiatre ou le juge de l'application des peines. C'est un travail qui devrait être réalisé durant l'exécution de la peine privative de liberté. La notion d'évaluation est nouvelle et mal définie ; elle dépend de l'analyse psychiatrique et du ressenti du JAP.

Notons que la rétention de sûreté est un enfermement sans avoir commis d'acte pénalement répréhensible. Le clinique, donc la personne passe au second plan ; la dangerosité devient automatique, du fait de la commission de certaines infractions.

Questions.
Expertises de prélibération conditionelle ne sont pas assez argumentées car ne disent pas comment ils en viennent au diagnostic, quelles sont les causes permettant d'avancer tel ou tel argument.

Termes de la loi: privilégier la notion de traitement impliquant plusieurs volets éducatifs et autres (plus objectif, plus neutre?) à celle de « soin », car les personnes ne se sentent/ne sont pas malades.

Possibilité d'obtenir plusieurs évaluations dans le temps de la détention, pour voir s'il y a une amélioration du score...

2EME TABLE RONDE : DANGEROSITE ET ENFERMEMENT PENITENTIAIRE

Intervenants :
  • Jean Marie Delarue : Contrôleur général des lieux de privation de liberté
  • Sylvain Roussilloux : Conseiller d’insertion et de probation, membre du bureau national du SNEPAP
  • Jean-Luc Douillard : psychologue clinicien à Saintes, coordonateur du programme régional santé


Jean- Marie DELARUE

De façon statistique, il n’y a pas de corrélation entre la dangerosité et l’enfermement. Par ex., depuis une dizaine d’années, on a pu constater une augmentation considérable du nombre de gardes à vue alors même que la délinquance a diminué. De même, si l’on compare le nombre d’incarcérés par rapport au nombre de poursuites engagées, on s’aperçoit que par rapport aux années 1970 on a une augmentation du nombre d’incarcération par rapport au taux de poursuite. Par conséquent, ce qui motive l’enfermement n’est pas nécessairement la dangerosité.

Au XIXème siècle, il y avait 350 maisons d’arrêt en France, de 70 à 120 détenus. Aujourd’hui il en existe une centaine mais regroupant 600 à 900 détenus. Les relations sociales au sein de l’établissement sont donc extrêmement différentes.

Constat d’une industrialisation de la captivité :
  • Beaucoup + de détenus dans un même lieu
  • Renforcement des dispositifs de sécurité
  • Effectifs calculés au plus juste : on a un surveillant pour 40 à 70 détenus. Cela signifie que les surveillants sont plus craintifs, du coup ils ont tendance à être moins présents dans les coursives, ce qui génère de l’attente dans les demandes des détenus et donc de l’impatience et de la violence, ce qui vient ensuite renforcer la crainte des surveillants => cercle vicieux.

Il y a aujourd’hui une recherche de l’individualisation de l’exécution de la peine (ce qui n’a rien à voir avec l’individualisation des peines au sens du CPP). On fait marche arrière par rapport à l’idée d’un régime de détention égal pour tous au sein d’un même établissement. Retour à un processus d’entrée en prison avec évaluation (de la scolarité, de la personnalité, etc.). Cette évaluation se poursuit ensuite durant le temps de la détention avec :
  • Le parcours d’exécution de peine (PEP)
  • Le cahier électronique de liaison (CEL) où tous les intervenants sont amenés à mettre des observations sur la personne, en sachant que désormais la hiérarchie doit d’abord valider ce que les surveillants écrivent dedans. Pose de nombreuses questions à partir du moment où les médecins commencent à écrire dedans (quid du secret médical ?), ainsi que des interrogations quant à la conservation de ces données (CNIL ?)

Dans les lieux d'enfermement, un classement spontané se fait par les différents acteurs selon les personnes qu'ils ont en face d'eux …
EX:
  • propos insultants à l'égard d'un détenu arrivé au greffe de la maison d'arrêt au vu de ses antécédents …
  • les différents niveaux de sécurité pour le transfert: libre, menottes, menottes et entraves. OR, certains mettent systématiquement les entraves, d'où il n'existe plus que 2 niveaux de sécurité.

Personnel pénitentiaire explique le surcroit de violence par une certaine dose d'imprévisibilité auquel ils sont confrontés. Cela est mis sur le compte de la maladie mentale en prison. Aujourd'hui, environ 25% des détenus soit 16 000 personnes. En outre, on peut estimer qu'il y a plus de détenus atteints car moins déclarés en juridiction comme ayant eu leur discernement aboli.
Or, si plus d'enfermement pour ces 16 000 personnes, q° de savoir où les placer. Aujourd'hui, il n'y a pas de solution alternative.

Ce que disent les détenus: débat qui ne leur parle pas, car entre autres ne leur a jamais été expliqué.

Rapport CIOTTI: part de l'idée qu'il faut enfermer tout le monde, d'où réquisitionner les anciennes casernes. Mais les anciennes casernes seraient alors des prisons un peu moins sécuritaires, où ils faudrait mettre les détenus les « moins dangereux », ce qui renforcera alors les effets de tri et de classement spontané.
Problème de savoir si la dangerosité est décernée une fois pour toute ou s'il va y avoir un passage de l'un à l'autre des régimes ?


Questions:
1. Quelles évolutions dangereuses avez-vous perçu ?
  • problème du relèvement des niveaux de sécurité désorganise le fonctionnement interne des prisons. Augmente les durées de circulation. Lyon: 25/50% des détenus voulant aller consulter un médecin et ayant été conduits vers lui ne peuvent pas le rencontrer … en raison du nombre de portes à franchir. La sécurité excessive crée donc de la désorganisation et de la frustration qui est alors à l’origine des violences.
  • Délitement de la solidarité du personnel en prison
  • Problème de phénomènes très intrusifs dans la vie des personnes.

2. Question sur le transfert de la charge des extractions à l’AP
  • transfert de la charge des extractions aux services pénitentiaires: entraine développement de la visioconférence inquiétant, car entraine une atteinte aux droits de la défense.
Cour EDH l'a admis sans évaluer les conséquences du développement de ce système. Risque de faire un tri entre les détenus éligibles à la visioconférence et les autres en fonction de sa dangerosité => entraine une rupture d'égalité entre les détenus ! => va rendre un avis à ce sujet.
  • cahier électronique de liaison: formalisation des observations faites par le personnel pénitentiaire à l'égard d'un détenu; participe de la personnalisation, mais peut être fallacieux si on ne se base que sur cela => nouveau niveau d'enfermement pour le détenu


Sylvain ROUSSILLOUX

La classification des détenus en fonction de leur dangerosité et du risque n’est pas un phénomène nouveau. Par exemple, une circulaire de 1980 définissait déjà ce qu’était un détenu particulièrement signalé. => Cela a toujours été central dans l’organisation de l’administration pénitentiaire, notamment pour prévenir le risque d’évasion.

+ Dangers liés à la frustration lié au contexte: attente des détenus. A une époque on considérait même que la frustration générée par l’attente des détenus faisaient partie de la peine.

D'où, lien entre dangerosité et enfermement n'était pas nouveau. Ce qui a évolué ce sont les missions de l’administration pénitentiaire. Elle n’est plus seulement évaluée au regard de sa capacité à garder les détenus, mais également au regard du nombre de récidives.

Comment l'administration pénitentiaire rend à la société les personnes dont on lui a confié la garde ?

Dangerosité pénitentiaire induite par le contexte d'enfermement ? (poing dans la face d'un gardien) entrainant un certain nombre de mesures, différent de la dangerosité criminologique impliquant un risque de récidive.

Aujourd'hui, on demande au CIOP de réaliser une synthèse sur le caractère de dangerosité d'un détenu. Des années que l'on met en avant la dangerosité et les grilles actuarielle... pour prévenir la récidive. Or, les personnels ne sont pas formés et absence de structure. Donc on est seulement là non pas pour évaluer un risque mais pour prévenir une certaine dangerosité.

Aujourd'hui, la perspective change c'est-à-dire qu’on a une autre finalité alors que l'on évaluait déjà un certain nombre de critères comme l'insertion professionnelle, la famille … Or le problème dans le schéma actuel est que la dangerosité caractérise une certaine systématicité sans donner de porte de sortie. On identifie et on parque sans résoudre les causes de la dangerosité, sans essayer de travailler sur ceux-ci.

Notion de risque joue sur les possibilités de libération. On va sur des logiques de précaution au lieu de revenir sur des préventions. Régime différencié avait une vocation pédagogique.


Jean-Luc DOUILLARD

Il y a eu beaucoup de changements depuis 15 ans en détention. Cela a des effets dévastateurs, en particulier sur la famille.

Le premier indicateur de changement inquiétant c'est l'apparition d'une politique sociale ayant pour maître mot l'efficience.

1er constat : on n'a jamais autant enfermé.63 000 incarcérations aujourd'hui. Mais en parallèle, on n'a jamais eu autant d'alternatives à la prison. Il faut cependant rester prudent sur ces mesures alternatives :
  • pas assez de personnel pour les suivre
  • pas toujours une meilleure situation qu'en prison :PSE nouvelle mesure alternative considérée comme meilleure que l'enfermement, or plus gros risque de suicide. Remarque : une personne sous PSE n'a pas le droit au RSA.

2ème constat : Les nouvelles prisons sont de plus en plus équipées, de plus en plus propres, etc. Mais les détenus s'y sentent de plus en plus seuls => mal être dans la prison. Encellulement individuel intéressant lorsque part d'une demande du détenu mais certains ne le supportent pas.

Illusion que l'on va mieux contrôler. Aujourd'hui, souffrance des personnels avec formation qui se fragilise, identités qui se fragilisent.

A ceci s'ajoute une volonté de centralisation, avec fermeture des petites maisons d'arrêt, ce qui rend difficile le maintien des liens familiaux (alors que c'est censé être une priorité).

Nouvelles structures, nouveaux outils (grilles à remplir …). Au moment de l'entretien entrant, les personnels ne prennent pas de risques et placent les personnes sous surveillance spéciale … alors que cette surveillance génère de la souffrance et du risque suicidaire.

Personnels de santé de moins en moins formés; moins de liens avec les autres professionnels tels que le juge.

Implication des associations extérieures; accès au téléphone des personnes condamnées … comment le personnel peut réagir lorsque le détenu apprend que sa femme le quitte ou apprend la survenance d'un événement grave lorsqu'il n'y a plus de suivi régulier de cette personne?

Enfermement et dignité : La notion de dangerosité n'est pas à lier à l'identité de la personne. Il s'agit plus d'un défaut d'identité. Le passage à l'acte est souvent une réaction à un phénomène d'aliénation.
Le problème est que quand on fixe le symptôme, quand on dit que telle personne est fragile ou dangereuse, cela crée une identité. Ainsi, beaucoup de personnes trouvent une identité dans la détention, et le personnes se suicident avant la sorties car perte d'identité lorsque se retrouvent à l'extérieur.
Risque d'identification à la figure criminelle lorsque l'on ne donne aux détenus qu'une identité criminelle et qu'on essaye pas de leur donner d'autres identités (niveau personnel et professionnel).

De l'art de rendre l'autre fou: si pas de programme de santé et éducatif sur le long terme, on ne réduit pas le nombre d'infractions.

Aujourd'hui, outils d'expression principalement individuels; crainte de créer des espaces de discussion collectives notamment car donnerait plus de voix/ de droits que le personnel.


3EME TABLE RONDE: DANGEROSITE ET PSYCHIATRIE, LES ENJEUX DE LA LOI DU 6 JUILLET 2011

Intervenants :
Olivier Labouret, psychiatre, vice président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie
Nelly Derabours, personnel de santé, SUD SANTE SOCIAUX
Martine Dutoit, ADVOCACY, représentant d’une association d’usagers
Xavier Gradat, Vice président à Bordeaux, Juge des libertés et de la détention

La loi sur l'hospitalisation d'office a évolué grâce au conseil constitutionnel

Martine DUTOIT

Advocacy est une association qui regroupe à la fois des personnes ayant eu affaire à la psychiatrie, et d'autres non.
=> idée d'aider les personnes qui n'ont pas accès à leurs droits, allant du simple renseignement à l'accès au droit ou aider à trouver un avocat.

Souffrance des personnes d'être hors du droit commun; le recours au juge peut servir de repère, mais dangereux d'amener une personne sans explication car aurait l'impression de venir au tribunal pour être jugée … risque de la mauvaise interprétation de la procédure à laquelle on est soumise.

La nouvelle loi a créé un grand désarroi. Certaines personnes qui étaient sorties depuis de nombreuses années de l'hôpital psychiatrique se sont aperçues qu'en réalité elles n'étaient qu'en sortie d'essai, sous le régime de la loi de 1990. Aujourd'hui, elles se retrouvent donc à nouveau hospitalisées ou doivent suivre un programme de soins.

La difficulté à accepter le soin pourrait être diminuée en diversifiant les soins et en les rendant moins stigmatisants. Or, si les personnes acceptaient mieux l'idée de se faire soigner cela permettrait d'éviter les prises en charge trop tardives, qui conduisent justement à utiliser les formes de soin les plus stigmatisantes.

En effet, si le juge se trouve face à une personne qui lui dit vouloir sortir de l'HP, il ne doit pas en déduire qu'elle est dans le déni et qu'elle est réfractaire à toute forme de soin, elle peut simplement aspirer à une forme de soin différente, et refuse simplement les étiquettes.

Problème du programme de soin : la loi ne prévoit pas qu'il soit soumis à l'appréciation du juge. Du coup on ne peut pas tellement le contester, il y a toujours la menace d'être renvoyé en HP si l'on refuse de s'y soumettre.

Problème des personnes qui sont sous tutelle : parfois c'est le tuteur qui a demandé le placement en HP. Or c'est également au tuteur de faire certaines démarches pour assurer la défense des intérêts de la personne hospitalisée : c'est de lui que va dépendre la constitution d'avocat, la demande d'aide juridictionnelle, etc. On a alors une contradiction d'intérêts.

Olivier LABOURET

Loi qui modifie déjà les pratiques, mais déjà contexte sécuritaire lourd.
Loi incohérente et dangereuse; prétend soigner sans consentement ce qui laisse supposer que la personne va s'opposer à ces soins.

La loi est née du discours de Sarkozy le 2 décembre 2008, et des mesures sécuritaires qui ont suivi (discours pour vidéosurveillance, géolocalisation, sécurisation des HP, etc.)

Depuis 2007, 4 lois intéressant la psychiatrie entrainant une marchandisation de la dispense des soins. Toujours logique managériale. Du fait de cette exigence de rentabilité, diminution du temps consacré aux patients, + de promiscuité => violence sociale, sécuritaire.

Il est de plus en plus difficile de faire hospitaliser des patients qui en ont besoin et à l'inverse, de plus en plus difficile de faire sortir des patients qui n'ont plus de raison d'être hospitalisés sous prétexte de dangerosité.

Suite à la QPC de décembre 2010, le JLD doit intervenir au bout de 15 jours et tous les 6 mois. Mais cela reste un trompe l'oeil :
  • car juge n'intervient pas pour autoriser a priori mais seulement a posteriori;
  • alourdit la paperasse à remplir pour le personnel soignant pour la sortie (collège d'experts, le juge ne peut pas décider de faire sortir le patient de façon discrétionnaire).
  • Concerne une minorité de patients car concerne seulement l'hospitalisation complète (= pas de recours au JLD en cas de programme de soin.

Paradoxalement, tout est fait aussi par manque de moyen pour échapper à cette judiciarisation, outre la minorité de patients très lourds => danger de désengorger les hôpitaux pour ramener les patients chez eux et obliger les patients à les soigner chez eux. Sous couvert de judiciarisation, faire passer une grande dérive sociale qui serait d'obliger les patients à être enfermés, soignés et surveillés chez eux. Toujours possibilité d'agir en ambulatoire.

Recours au juge oblige le psychiatre et le collège soignant à formaliser sa décision, à s'interroger sur comment motiver sa décision, entendre le patient … au delà de cette procédure.

Nelly DERABOURS

Choc culturel énorme qu'est l'intervention du juge dans les procédures d'hospitalisation. N'aurait pas été retenu sans l'intervention du conseil constitutionnel.

Paradoxe de cette loi: médecins vivent très mal de voir leur décision validée par un juge. D'où toutes les solutions mises en place pour éviter ce contrôle. Programme de soins au bout de 8 jours pour éviter le recours au juge. D'où, vers le 1er août, énormément d'hospitalisations d'office levées, etc … sauf que la précipitation ne permet pas au personnel soignant de négocier avec certains patients leur sortie … Peut-être un peu plus de discernement lors du recours à la contrainte maintenant.

Audience au tribunal ou dans le centre de soin ? A priori pour le droit commun donc au tribunal; or on se rend compte de l'attente au tribunal, des distances entre hôpital et tribunal, la fréquence des trajets à réaliser. Beaucoup d'établissements refusent aujourd'hui d'organiser l'accompagnement des personnes au tribunal au motif de leur dangerosité.

Problème des soignants qui ne sont pas en condition pour expliquer la procédure aux patients, par manque de formation notamment. Mais paradoxalement, risque pour le juge d'exposer brutalement le diagnostic à la tête du patient; même problématique aux tutelles, fait partie du bon sens.


Xavier GRADAT

Genèse de cette loi comme un souci sécuritaire. Du coup, sous l'effet de la décision du Conseil constitutionnel on a raccroché cette loi au JLD mais en se gardant bien d'y mettre les moyens nécessaires.
Crainte que sous l'effet du manque de moyens et du fait qu'un certain nombre de soignants ne veulent pas qu'on mette le nez dans leur job, cela n'entraine qu'un contrôle purement formel … 5/10 min de visioconférence seulement pour libérer la parole … quid de la légitimité du juge pour intervenir à ce stade ?

Il y a tout de même une légitimité car privation de liberté et de droits, dans la logique de notre intervention et des décisions de la CEDH; intervient pour dire si vraiment la privation de liberté est indispensable pour dispenser les soins comme légitime car rentre dans notre rôle.

Loi renforce les pouvoirs du préfet. Sortie thérapeutique de 12 heures autorisée par le préfet !

Vigilance nécessaire sur les critères sur le risque d'atteinte à la sureté des personnes et sur l'atteinte à l'ordre public. Risque de devenir le dernier endroit où l'on recueille les personnes désocialisées. Ne pas accepter la personne ne revient pas à empêcher le soin en soi car il existe d'autres possibilités.

Personnes en HO laissées en pyjama pour l'audience sous prétexte de l'empêcher de s'enfuir; or, compris comme une humiliation.

Bordeaux: soignants ont bien pris l'intervention du juge, ont pris contact avec le Barreau pour organiser des permanences. Obliger un patient placé sous camisole à porter des couches la nuit comme humiliation ; JLD découvre cette situation à l'audience, en parle avec le directeur de l'hôpital qui apprend la situation à cette occasion; directeur a fait une réunion de service où il a constaté que cette pratique était avérée => en dehors de savoir si l'HO est bien fondée, l'intervention du JLD permettra peut-être de modifier certaines pratiques dégradantes mais jusqu'ici méconnues.

Problématique du déplacement des juges pour tenir leurs audiences à l'extérieur; positif pour lui de se déplacer : en terme de moyens déployés pour amener la personne sous contrainte, avec plusieurs personnels soignant et forces de l'ordre mobilisés, positif en terme de contrôle de leurs droits (puisque permet mieux de voir leur environnement).

Cependant, problématique laissée à la discrétion du JLD.

Problème aussi des psychiatres qui font des certificats attestant que la personne ne peut pas être entendue … pour éviter l'intervention du patient devant le JLD.

Entretiens sont très importants car les patients ont des choses à dire sur la façon dont ils voient les choses. C'est un lieu de parole.

Hôpital Charles Perrens, un cadre soignant est chargé de remettre les convocations, qui prépare les gens à l'entretien, pourquoi et dans quelles circonstances …

!! Attention: JLD intervient dans un lieu formalisé, salle dédiée avec panneaux ministère public etc et pas dans le bureau du directeur … le JLD dit intervenir en robe pour le formalisme.

documentaire sur arte, à propos de l'hôpital Sainte Anne.

Quid de savoir quel est la finalité du contrôle du JLD ?
Intervention du JLD pour que les droits du patient soient respectées … mais respectées dans le cadre de l'enfermement => q° de la dignité des personnes plus que de savoir si l'enfermement est nécessaire.
q° de savoir si l'enfermement est nécessaire pour la continuité des soins commefondement de l'intervention du juge , mais difficulté de ne pas s'immiscer dans le soin ?
avantage de faire intervenir un tiers dans un milieu si fermé pour l'évolution des pratiques, éviter les pratiques routinières.

Avancée car le juge peut exiger que l'on explique en quoi la pathologie les troubles permettent de crainte qu'il y ait un risque ACTUEL d'atteinte à la sécurité des personnes … si il n'y a plus de soins.

Permet au juge d'ordonner des expertises.

Crainte que les collègues ne s'en saisissent pas et que ces audiences deviennent une simple chambre d'enregistrement.


POURSUITE DU DEBAT SUR LA DANGEROSITE SOCIALE

Intervenant :
Philippe Mary, professeur au centre de recherches criminologiques de Bruxelles

En Belgique, l'utilisation des méthodes actuarielles est très marginale. Elles ne font donc pas débat.

  1. Dangerosité

La notion de dangerosité apparaît dès le XIXe siècle, quand les pénalistes et aliénistes commencent à percevoir des catégories de personnes qui ne rentrent pas dans le cadre du droit pénal classique, qui perçoit l'individu comme responsable de ce qu'il fait => prise de conscience qu'il existe des déterminismes.

A partir de là, on voit se développer une criminologie du passage à l'acte. On recherche ce qui différencie les criminels du reste de la population et ce qui les fait passer à l'acte.

Des caractères propres au criminel sont alors dégagés : égocentrique, labile et agressif (théorie de la personnalité criminelle). De là la prétention à trouver un traitement adapté pour tous les délinquants.

Problème aujourd'hui : il est très difficile de différencier dangerosité et évaluation des risques, tendance à confondre les deux.

Dans les années 1960, 1970 on balaye toute cette théorie de la personnalité criminelle et on met la sociologie en avant. La criminalité n'existe pas, ce n'est qu'une construction sociale (paradigme de l'interaction sociale). En effet, selon le type de société, selon les circonstances, même le plus grave des crimes peut être considéré comme un acte héroïque (ex: en temps de guerre le meurtre est permis). Cela met alors à mal toute l'idée du traitement des criminels et met en + en évidence que finalement, assez peu de pays avaient véritablement mis en oeuvre une politique pénitentiaire fondée sur le traitement.

La criminologie de l'interaction sociale a été cataloguée à gauche et donc remise en cause à partir des années 1980 avec la vague néolibérale et l'instauration d'un climat sécuritaire (notamment parce que les fonctions régaliennes sont presque les seules qui restent à l'Etat dans un contexte de mondialisation et d'économie de marché).

Nouvelle mouvance : le néopositivisme. Il s'agit d'une « criminologie » très sensible à l'actualité, à ce qui émeut l'opinion publique. On ne parle plus de la criminalité en général mais de faits particuliers qui font plus ou moins peur à un moment t. Par ex : émeutes urbaines, toxicomanie, délinquance sexuelle.

  1. Evaluation

Au XVIIIe XIXe siècle, pour que la psychiatrie s'impose comme science elle a dû montrer sa capacité à repérer les malades mentaux.
Idem pour la criminologie => développement d'une criminologie du passage à l'acte, visant à repérer le délinquant futur.
=> fort enjeu de l'évaluation et de la prédiction.

2ème question : que veut-on évaluer?

Dangerosité? Finalement elle est très mal définie. En fait ce que l'on mesure c'est avant tout le risque de récidive.

Remarque : il faut noter que les délinquants sexuels récidivent finalement très peu dans leur type de délinquance, par contre il peuvent commettre par la suite un tout autre type d'infraction.

Qu'est-ce que la récidive? En vérité, ce n'est pas le fait de commettre 2 fois une infraction. C'est le fait de se faire prendre deux fois. La récidive dépend donc principalement de l'efficacité des forces de l'ordre.

L'évaluation renvoie au fantasme de la maîtrise des situations. Cela amène à des lois qui ne seront jamais appliquées, voire pas applicables. Mais cela suffit parce que cela donne l'illusion de maîtriser les choses.

  1. L'actuariel

Les premiers à parler des méthodes actuarielles sont Feeley et Simon.
Ils ne parlent pas d'un modèle de justice, sont + dans le descriptif. Ils cherchent à voir les pratiques qui émergent dans les systèmes pénaux.

Les grilles actuarielles sont la figure emblématique de la justice actuarielle mais ne la résument pas. Idée de la justice actuarielle : justice fondée sur l'individu qui s'axe progressivement sur la gestion des groupes à risque.

Ensuite, il est très facile de glisser sur la gestion du risque et l'évaluation de la dangerosité. Il s'agit d'une criminologie qui considère que la criminalité est un risque normal dans toute société, qu'il faut maîtriser comme n'importe quel autre risque. Le discours n'est plus alors ni moral ni clinique mais plutôt managérial => on applique la probabilité, comme peuvent le faire les assurances vie.

Le problème est alors que le système pénal se replie sur lui-même. On ne l'évalue que par ce qu'il produit, plus en termes d'apport pour la société.
Ex : la récidive est un échec mais du point de vue actuariel cela peut être une réussite puisque cela démontre l'efficacité du contrôle.

Importance de la technologie dans la méthode actuarielle. Le contrôle des populations a pris une autre dimension avec les ordinateurs et autres. On a de plus en plus de moyens de contrôle => on peut mettre en évidence plus facilement les « indicateurs » de délinquance.

Milieu ouvert : peine intermédiaire entre la prison et le sursis mais on n'est plus dans le travail social, on est dans le contrôle, alors même qu'on a conservé les mêmes institutions.

Feeley et Simon expliquent le fonctionnement systémique (replié sur soi) du système pénal par l'existence d'une nouvelle catégorie : l'underclass, qui n'a aucune perspective d'évolution économique => pas la peine de chercher à réinsérer, il faut seulement contrôler et neutraliser.

  1. Les pratiques

Pour le moment il n'y a pas trop lieu de s'inquiéter parce qu'il y a un décalage entre le discours et la mise en pratique de ce discours.

Il y a par ailleurs une forte capacité de résistance de la magistrature (en Belgique c'est le parquet qui résiste le + !).

Par contre, les services périphériques (SPIP, psy, éduc, etc.) peuvent se voir imposer des méthodes comme les grilles actuarielles. Du coup la marge de manœuvre des magistrats sera dans ce cas assez limitée.

En Europe il n'y a pas un développement des grilles actuarielles et de la logique de risque comme on peut le voir au Canada. Mais il y a tout de même des changements importants dans notre système pénal :
  • La prévention change complètement. Jusque dans les années 1990 la prévention se jouait essentiellement au niveau des politiques sociales. Maintenant, on assiste à une augmentation du rôle de l'évaluation. Or on ne peut pas évaluer ce qui n'arrive pas => développement des moyens de contrôle, comme la vidéosurveillance mais cela est une vision très réductrice de la prévention (ne fait que déplacer les problèmes). De même, on détourne des institutions sociales en outil de prévention de la délinquance alors que ce n'est pas leur rôle (par exemple l'école).
  • Changement dans les procédures judiciaires : traitement en temps réel, comparution immédiate = pour + d'efficacité.
  • Grilles actuarielles émergent dans l'administration pénitentiaire.

=> Ca peut finalement nous tomber dessus. On aura alors un système où il sera difficile de rattacher la justice pénale à un projet politique (au sens de projet d'amélioration de la société).

Remarque : dans les pays scandinaves les taux de détention n'augmentent pas mais pas parce qu'ils emprisonnent moins, au contraire, seulement parce qu'ils emprisonnent moins longtemps => ils ont + de flux.

Problème des grilles actuarielles, même si on les cantonne à l'aménagement de peine :
  • Problème en soi des critères de la délinquance et de la possibilité d'une étiologie : aujourd'hui on n'a toujours pas mis en évidence de cause de la délinquance, à part le droit pénal qui crée les infractions.
  • Les grilles actuarielles sont construites à partir des populations pénales, et non pas à partir de l'ensemble de la population => on instaure un biais puisqu'on sélectionne la population => aucune fiabilité.
Par conséquent, plutôt que d'accepter les grilles actuarielles comme un moindre mal par rapport à ce qu'on nous impose, il faut créer des brèches :
  • refuser le référentiel de la récidive au moment de la prise de décision. Éventuellement le prendre en compte dans le cadre de l'exécution de la peine.
  • Tout ce que la récidive montre c'est que le mythe du système pénal comme élément dissuasif ne tient pas la route.
  • Mettre en exergue que si la récidive est à prendre en compte au moment de l'exécution de la peine cela signifie qu'il faut changer les pratiques et mettre en place des moyens réels.