CI, mandat de dépôt!

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O orientation pénale, O Mores!

- Poursuite pour trafic de stups. Rien d'original en CI sauf quand il s'agit de 6 pauvres barrettes de shit, une seule vendue (20€) et que l'auteur est un jeune homme de 18 ans, préparant son bac (épreuve le lendemain), avec adresse et garantie de représentation, et sans aucun antécédent judiciaire. Condamnation prononcée: 500 € d'amende.

- Autres poursuites d'autres dangereux trafiquants...de 2 cachets de subutex. Le vendeur a une ordonnance en règle et dépanne son ami qui en prend, de plus, pour calmer une douleur physique (lui-même ayant une ordonnance qqs jours plus tard). Valeur de la transaction: 10 €. Une peine de 2 mois avec mandat de dépôt requis contre l'un des deux à l'audience. Verdict: 300 € d'amende chacun.

- Poursuite d'un jeune ancré dans la délinquance (une mention au casier qui lui a valu un avertissement solennel...), tout jeune majeur, il comparaît pour un vol à l'arrachée commis 3 mois plus tôt (pas de chance, il a été retrouvé la veille!). Certes, la victime est tombée de vélo, ce qui lui a valu 1 jour d'ITT, et n'a toujours pas retrouvé son portable...la CI s'impose! Le petit jeune en larmes avoue tout, se confond en excuses devant la victime et s'en veut à mort de ne pas s'être arrêté pour vérifier qu'elle ne s'était pas fait mal en tombant...Réquisitions : 6 mois dont 3 SME pendant 18 mois, mandat de dépôt. Le petit redouble de sanglots. Verdict : 8 mois dont 3 SME pendant 2 ans, mandat de dépôt. Crise d'angoisse du jeune qui veut voir sa mère avant de partir, même la victime semble mal à l'aise...

- Papi et Mamie, 60 ans chacun,40 ans de mariage, le couple idyllique? Pas sûr! A y regarder de plus près, Papi force un peu trop sur la bouteille et Mamie est retombée amoureuse de son ami d'enfance.Mais tant que Mamie ne demande pas le divorce, Papi la laisse aller batifoler à son aise... Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'à ce que Papi décide en plein après-midi d'aller frapper Mamie en plein visage, armé de deux couteaux de cuisine...Autant dire que sans intervention du voisin, Papi se serait retrouvé veuf en moins de deux... Alors du coup, en moins de deux aussi, il faut réagir! Et voilà comment Papi se retrouve en comparution immédiate pour violences volontaires... Comment ça il faudrait voir si Papi a toute sa tête? Comment ça l'incapacité de travail de Mamie n'est pas encore déterminée? Qu'à cela ne tienne, renvoi à 2 mois pour les expertises, vraiment parce que vous y tenez! Saisir un juge d'instruction? Mais non voyons...tout est si limpide....
Et nous revoilà deux mois plus tard, dans une salle d'audience à 22 heures... Papi est toujours aussi dur de la feuille, il faut lui crier les questions dans l'oreille...pour obtenir des réponses tout à fait alarmantes et incohérentes... A part ça il paraît que Papi est parfaitement responsable....Sans parler de l'utilité, voire même de la validité, d'une audience ou le prévenu n'a pu entendre aucune des parties... MAIS voilà au moins un dossier rondement mené! Au suivant!

Le regard de la Ligue des Droits de l'Homme

CI-dessous, l'intégralité de l'article de Sonia Faure paru le lundi 7 mai dans Libération sur le livre de la Ligue des Droits de l'Homme de Toulouse “Comparutions immédiates, quelle justice?”, éditions ERES.

L’Observatoire des comparutions immédiates dénonce une «justice expéditive». Exemple à Paris.

Le prévenu se tient à la barre, contrarié : son avocat n’est pas là. Le président du tribunal, lui, s’agace : «On a déjà renvoyé votre affaire la dernière fois, à la demande de votre conseil [avocat, ndlr]. On va le faire encore une fois, mais c’est la dernière ! Ça coûte de l’argent, tout ça !» Mercredi, 23e chambre correctionnelle de Paris, audiences des comparutions immédiates. Une justice rapide, «en temps réel». Bien des prévenus arrivent directement de garde à vue.
La Ligue des droits de l’homme (LDH) de Toulouse a monté un Observatoire des comparutions immédiates : pendant cinq mois en 2011, une cinquantaine de volontaires, de la LDH, d’Amnesty ou de l’association étudiante Genepi, ont assisté à 102 audiences toulousaines, soit 543 affaires. Des sociologues de l’université du Mirail ont élaboré un questionnaire et une grille de lecture pour dresser un panorama de cette justice. Leur constat, qui vient d’être publié (1), est sévère. 


A Toulouse, la durée moyenne d’audience est de trente-six minutes par
affaire, 57% conduisent à de la prison ferme. «Trois fois plus», en proportion, que dans
l’ensemble des dossiers délictuels. Selon les chercheurs, cette procédure concerne une
population jeune, où les étrangers, SDF et précaires sont surreprésentés.

Casier. A la 23e chambre, c’est cette fois une jeune femme. Mme T. est accusée d’avoir volé
un sac, puis acheté pour 1 127 euros dans un magasin de streetwear avec la carte de sa
victime. Elle suit une formation de web designer. Le président lit son casier : «Une année avec
sursis pour chèque falsifié, quatre ans avec sursis pour recel, un an avec sursis pour
escroquerie, dix-huit mois dont quatorze avec sursis, mise à l’épreuve l’année dernière… Vous
avez des problèmes de santé, de famille, de drogue, d’alcool ?» «Non.» L’audience dure une
demi-heure. «C’est déjà bien pour les comparutions parisiennes, dit une jeune avocate. On
sent aussi que le président essaie de creuser un minimum.» Malgré la demande du parquet
d’écarter les peines planchers, vu «le faible montant du préjudice, remboursé depuis», Mme T.
est condamnée à quatre mois de prison ferme.
C’est l’un des enseignements de l’étude : la «centralité du casier judiciaire» dans cette justice
d’urgence. Il détermine souvent la décision du magistrat d’envoyer une personne en
comparution immédiate. «La "carrière" du délinquant se construit par une accumulation
rapide, une spirale de condamnations successives dans des délais courts, et des peines de plus
en plus lourdes du fait de la prise en compte majeure du casier judiciaire», analyse
l’Observatoire.
«Bon, comment on fait ?» soupire le président de la 23e. Aucun avocat de permanence n’est
présent. Ni pour les prévenus, ni pour les victimes. Les audiences doivent être suspendues.
«Quatre prévenus sont arrivés cet après-midi, explique un gendarme. Le temps que les
avocats lisent leur dossier, qu’ils courent ici…» Les avocats de permanence (ils étaient cinq
pour la journée) sont peut-être retenus dans l’autre chambre du tribunal consacrée aux
comparutions immédiates. La situation a quelque chose d’ubuesque. En guise de justice «en
temps réel», c’est une audience en panne, des jugements empêchés, retardés.

Renvoi. Pour D., ce n’est pas l’avocate qui manque, mais la victime. Manutentionnaire en
intérim, il est accusé d’avoir frappé son père chez qui il vit. Lui dit au contraire subir les
violences de ses parents. Le président : «Mais où est l’avocat de la victime ? Il a encore
disparu ?» Le père non plus n’est pas là. Le parquet n’est pas sûr de l’avoir prévenu… D.
aimerait être jugé dans la journée : «Je ne veux pas perdre ma mission en intérim.»
Suspension. Reprise. Un message téléphonique a bien été laissé chez le père. «Mais on ne sait
toujours pas s’il en a eu connaissance», réfléchit le président… qui décide du renvoi : «Soit on
vous place en détention provisoire, soit en liberté sous contrôle judiciaire. Mais vous ne pouvez
pas vivre chez votre père.» Le prévenu propose d’aller à l’hôtel. Le ministère public s’y oppose
: «Vous n’avez pas d’attestation de logement.» Et pour cause : D. sort de garde à vue.
L’avocate de permanence est «frustrée» : «J’avais eu le temps de travailler le dossier depuis
ce matin et j’ai parlé avec mon client dix minutes… Ces comparutions, c’est toujours un
dilemme pour nous. Demander un renvoi pour préparer la défense, c’est risquer la mise en
détention provisoire de nos clients en attendant la nouvelle audience et donc la perte d’un
emploi, d’un logement.»

Le rapport de l’Observatoire parle d’une «justice expéditive», pour les prévenus comme pour
les victimes. « J’y ai siégé, je peux vous dire que les victimes sont furieuses de ne pouvoir
participer à l’audience faute d’avoir été prévenues assez tôt», témoigne Evelyne Sire-Marin,
magistrate et vice-présidente de la LDH. A Paris, ce jour-là, pas une victime ne sera présente.
D., lui, sera remis en liberté avec interdiction d’entrer en contact avec son père, jusqu’au
procès, en juin.

(1) «Comparutions immédiates : quelle justice ? Regards sur une justice du quotidien» Ed.
Erès. 20 euros.

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