Les Congrès du SM

Rapport moral de l'année judiciaire 2011 

(adopté lors du Congrès du Syndicat en nov 2011 à Marseille)


C’était en avril 2007, sur la scène d’un stade monocolore chauffé à blanc, et Nicolas Sarkozy était « le candidat du peuple », le futur « porte-parole du peuple de France ». Il allait « changer la politique » – et, bien sûr, « les choses » – pour rendre justice à « tous ceux qui ont l’impression d’être exclus, d’être condamnés à ne pas avoir leur mot à dire dans la République ». Quelques mois plus tôt, « libéré de [ses] attaches et de [ses] combats antérieurs », il avait subitement perdu l’envie de privilégier les privilégiés et s’était fendu d’un discours à « la France qui souffre » dans une cité ouvrière des Ardennes. Jean Jaurès, Léon Blum, Albert Camus et Guy Môquet étaient devenus ses héros. Le prétendant palpitait toujours à droite mais il allait « remettre au coeur de la politique […] les valeurs que la gauche a trahies ». Une vraie droite de gauche en somme, qui ne serait plus contre le peuple mais tout contre. Une droite qui aurait oublié d’être de droite. On allait voir ce qu’on allait voir, et ils furent nombreux à vouloir voir. On a vu. Maintenant que le Roi est nu, que reste-t-il du peuple pour le « président des riches » ? Un prétexte. Faute de servir le peuple, pourquoi ne pas s’en servir ? Parler de lui, à tort et à travers, parler à sa place, l’utiliser à la moindre occasion, tantôt comme un bouclier (« Les Français m’ont élu… »), tantôt comme une flèche (« Les Français ne supportent plus… »). Les magistrats sont bien placés, si l’on ose dire, pour le savoir. En 2011, comme pendant tout le quinquennat qui s’achève, au nom et au préjudice du peuple, l’État s’est avili. Pour quelques uns, tout est effectivement devenu « possible ». Pour tous les autres, l’atmosphère s’est vite emplie d’un parfum irrespirable, qui porte un nom : l’injustice.

“Rapprocher la justice du peuple”
Qui pourrait être contre ? Ni la justice, ni le peuple, c’est l’avantage. Pas le Syndicat de la magistrature en tout cas, dont c’est pour ainsi dire la raison d’être. Mais démocratiser l’institution judiciaire est une chose, la délégitimer et la placer au service d’un pouvoir politique qui se rêve absolu en est une autre. En 2011, comme depuis 2007, comme depuis 2002, c’est bien cet objectif-ci qu’a poursuivi ce régime-là. Non pas, loin s’en faut, que la gauche gouvernementale ait toujours résisté à ce genre de tentation. On se souvient, par exemple, du concept de « cambriolage judiciaire » inventé en 1991 par le ministre Georges Kiejman pour dénoncer la perquisition au sein de la société Urba dans un dossier menaçant le Parti socialiste, ou encore, dix ans plus tard, de l’intervention du Premier ministre Lionel Jospin dans l’affaire dite « du Chinois ». On se souvient surtout de la « loi Vaillant » sur la « sécurité quotidienne »... Mais la droite faussement « populaire » de l’ère Sarkozy a démontré sa parfaite maîtrise de « l’art de la guerre » sur le théâtre des opérations judiciaires, jouant le peuple contre la justice et la justice contre le peuple.


Le peuple contre la justice


En décembre 2010, lorsque le tribunal correctionnel de Bobigny eut l’audace de condamner sept policiers ayant accusé sur procès-verbal une personne d’un crime qu’elle n’avait pas commis, le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux s’empressa de témoigner sa sympathie… aux policiers. Non seulement il ne fut pas gêné que leurs collègues manifestent illico, parfois en uniformes ou armés, toutes sirènes hurlantes, sous les fenêtres du palais de justice, mais il fut touché par ces indignés-là, accréditant l’idée que les peines prononcées étaient – une fois n’est pas coutume – trop sévères. Deux mois plus tôt, cet amoureux de la clémence avait tenu à « manifester publiquement son soutien matériel et moral » à un gendarme mis en examen pour avoir tué par balle un jeune Gitan dans le Loir-et-Cher. Décidément, les juges ont du mal à comprendre que, lorsqu’on est chargé de protéger « les Français », il faut parfois mentir ou occire.

Mais en février 2011, ce fut la larme de crocodile qui fit déborder le vase.

Une jeune femme est assassinée à Pornic. Aussitôt, Nicolas Sarkozy s’empare du drame, capture la souffrance des victimes et dénonce la « faute » de ceux qui ont laissé agir le « présumé coupable », ce « monstre ». Le message est limpide : c’est la justice qui a tué Laëtitia. Des professionnels doivent payer, car « nos compatriotes ne comprendraient pas qu’il n’y ait pas de sanction ». Le peuple en est témoin : il n’y a pas de justice, vive le gouvernement ! Un des meilleurs élèves de la coterie au pouvoir, François Baroin, trouve d’ailleurs le moyen de surenchérir : pour les magistrats, ce n’est « qu’un fait divers, un élément statistique sur des dossiers », alors que, pour ceux qui nous gouvernent avec le coeur sur la main (ou l’inverse), il s’agit d’un « drame épouvantable »… Émétique indécence.

Le monde judiciaire s’est retenu de vomir, mais il a fait mieux : il s’est révolté. Il s’est dressé, un instant, certes confusément, contre son maître – et il s’est adressé à ce peuple qu’on voulait lui opposer. Ce fut bien sûr la plus grande grève spontanée qu’ait jamais connu la magistrature – car, n’en déplaise aux Tartuffe de « l’apolitisme », il s’agissait bien d’une grève et d’une grève spontanée – ; ce fut, au-delà, une mobilisation sans précédent de tous les professionnels de la justice : personnels pénitentiaires, fonctionnaires des services judiciaires, éducateurs, avocats, magistrats administratifs… Dans les tribunaux, dans les services, la parole s’est libérée et des solidarités se sont nouées.

Et puis, la tempête s’est dissipée... Les champions du « pragmatisme » ont répété que les magistrats avaient été « blanchis » et que le garde des Sceaux avait fait d’immenses concessions en leur offrant des « groupes de travail » et quelques recrutements. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on n’ait pas l’ivresse ! Reste qu’il y aura un avant et un après « Pornic » : la justice sait dire non.

Le 18 avril 2011, Henri Guaino, ce conseiller si spécial, n’a pas pu résister. À propos d’un grave accident qui venait de coûter la vie à trois personnes et d’en blesser trois autres, il déclara – avec cette paisible assurance des gens de pouvoir qui s'autorisent à dire n’importe quoi en toutes circonstances, surtout les plus douloureuses – que le chauffard ne devait « jamais sortir de prison ». Jamais ? « Jamais ! » Ainsi fonctionne le tribunal spontané des officiels indignés/indignés officiels : plus rapide que la justice, plus sévère que la loi, plus choqué que la victime. Éternelle ritournelle : dormez, braves gens, l’Élysée s’émeut pour vous et commande les juges.

Mais le mieux, c’est encore – toujours – de faire une loi. Ce fut celle du 10 août 2011 « sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale ». En fait de « participation », ce texte – voté en « urgence », sans doute pour apaiser les millions de personnes qui se pressaient place Vendôme en hurlant leur envie de juger – introduisit, sans crainte de la contradiction, des « assesseurs citoyens » pour le jugement de quelques délits et l’aménagement de certaines peines, tout en réduisant le nombre de jurés dans les cours d’assises. À l’origine, il était même prévu que, pour 90% des crimes, la proportion de citoyens passerait de 9/12ème à… 2/5ème. Utile témoignage de la fibre populaire du gouvernement… Cette splendide usine à déceptions – qui pourrait bien asphyxier définitivement les juridictions et, finalement, éloigner encore un peu plus le peuple de la justice – est le fruit d’une idée lumineuse : les magistrats sont intrinsèquement « laxistes », tandis que le peuple est ontologiquement juste, c’est-à-dire répressif. Ce peuple qui n’aime plus Nicolas Sarkozy, mais qui penserait toujours comme lui...

La justice contre le peuple

Une année sans lois régressives ne serait pas une bonne année au pays des droits [d’un] homme. 2011 fut, à cet égard, une excellente année.

Il y eut d’abord la « LOPPSI 2 », ce chef d’œuvre orwellien, hélas mis en péril par un Conseil constitutionnel qui avait habitué à davantage de mansuétude. Treize dispositions censurées, record battu ! La « guerre contre la délinquance » n’autorise pas encore tout. Exit la vidéosurveillance privée et généralisée de l’espace public, l’évacuation sur simple décision préfectorale des mal-logés et des gens du voyage, les audiences au secret dans les centres de rétention administrative, ou encore la sanction des parents d’enfants délinquants.

Mais il fallait bien qu’il en reste quelque-chose, et ce fut déjà plus que trop : extension et interconnexion des fichiers de police, transmission systématique au préfet et au conseil général des décisions pénales concernant les mineurs, blocage des sites internet sans intervention judiciaire, « peines-planchers » contre des personnes dépourvues d’antécédent judiciaire…

Surveiller plus pour punir plus, la recette est éprouvée. Mais pour quels « résultats » ? Pas, fameux, si l’on en juge par la permanence de l’obsession répressive elle-même ou encore par la hausse officielle des atteintes aux personnes.

Un résultat tout de même : l’explosion de la (sur) population carcérale et… des condamnations de l’État par la justice administrative en raison des conditions de vie qui ont cours dans ses prisons. Décidément, il est des « humiliations » auxquelles on s’habitue… En un an, la statistique des détenus « en surnombre » a augmenté de 21 %. Avec près de 65 000 détenus le 1er juin, il n’y avait jamais eu autant de personnes incarcérées dans les prisons françaises. Dans une note du 21 juillet, le garde des Sceaux encourageait donc les parquets à reporter la mise à exécution des peines d’emprisonnement. Cela ne l’empêcha pas, une semaine plus tard, de désavouer publiquement le procureur de Dunkerque, qui venait de différer d’un mois quelques incarcérations non urgentes afin d’éviter l’implosion de la maison d’arrêt de sa ville… Michel Mercier ou la duplicité tranquille.

La « LOPPSI » visait large, car tout le monde ou  presque est désormais suspect. Mais nos généraux ont leurs souffre-douleur. Alors on refit une loi pour l’étranger en mai, une autre en juillet pour le fou et une autre encore pour le mineur en août. Ainsi furent exaucés les voeux présidentiels entendus du côté de Grenoble et d’Antony : des « clandestins », véritable chair à statistiques d’une administration déshonorée, expulsés sans avoir pu rencontrer un juge ; des malades mentaux davantage enfermés, privés de sorties d’essai et désormais fichés dans un véritable casier psychiatrique ; des enfants traités comme des adultes, tant il est vrai que la récidive est un signe de maturité…

À Bordeaux, la préfecture reçut le message cinq sur cinq. Au début du mois d’août, trois étrangers furent interpellés, placés en garde à vue, bouclés dans un centre de rétention administrative et reconduits à la frontière. Du bon boulot ! Sauf qu’au moment de leur interpellation, ils se trouvaient à la gare, prêts à monter dans un train qui devait les ramener dans leur pays. Sauf que leur placement en garde à vue était illégal. Sauf que l’un d’entre eux avait été remis en liberté par un juge quelques heures avant sa reconduite et qu’une audience était programmée pour les deux autres. Mais les statistiques ont leurs impératifs et l’essentiel n’était-il pas de s’en débarrasser sans s’embarrasser ?

Et on ne s’embarrasse pas souvent de subtilité : afin d’incarcérer ces mineurs, ces fous, ces étrangers et tous les autres, afin aussi de faire taire les chiffres – pourtant parlants du désastre pénitentiaire, l’emphase présidentielle n’a pas faibli lorsqu’il s’est agi d’annoncer la construction de trente mille nouvelles places de prison sur six ans. Trente mille. C’était le 13 septembre dernier et c’était à Réau.

Il en va ainsi des droits et de la justice pour les as du « réalisme » : les premiers sont superflus et la deuxième n’est utile que lorsqu’elle fait ce qu’on lui demande, c’est-à-dire quand elle se renie. Le juge, dans ce projet d’anti-société, devient l’ennemi des « gens » car, pour la caste au pouvoir, les gens sont des ennemis – comme l’étaient les révolutionnaires tunisiens lorsque Michèle Alliot-Marie offrit le « savoir-faire sécuritaire » de la France à la police de Ben Ali.

Alors, bien sûr, il y eut des avancées : l’avocat en garde à vue et le contrôle judiciaire des hospitalisations sous contrainte. Ne boudons pas notre plaisir... Mais que ce fut long et difficile ! En vérité, les ex-promoteurs du « volontarisme » n’en voulaient pas, il fallut que la Cour européenne des droits de l’Homme et le Conseil constitutionnel les y contraignent. Ils surent d’ailleurs se venger : en instaurant discrètement, au coeur de l’été, une taxe de procédure de 35 euros applicable à la plupart des instances civiles, commerciales, prud’homales, sociales, rurales et administratives... au prétexte de financer la réforme de la garde à vue. Bel exemple de perversité : si vous voulez que vos droits et libertés soient respectés – ou, mieux, ceux des autres –, il va falloir payer, et tant pis si ça commence à faire beaucoup. Désormais, la justice a un prix.

Le bon plaisir du Prince, lui, n’en a pas. Heureusement, le premier de la caste est à l’abri du soupçon...

“Réconcilier les Français avec la politique”
C’était en janvier 2007 et Nicolas Sarkozy, très conscient des bénéfices politiques qu’il pouvait en tirer, disait : « Je veux une République irréprochable. Je veux changer la pratique de la République. Plus de simplicité, plus de proximité, plus d’humilité, plus d’authenticité » – mais sans doute savait-il déjà que, la République irréprochable, il en serait, cinq années durant, l’inépuisable fossoyeur.

Se protéger et se servir

Passons rapidement sur les frasques d’un régime immédiatement disqualifié par son goût de la fortune et du clinquant, de la nuit du Fouquet’s à la méditation médiatique à bord d’un yacht de luxe, en passant par les vacances offertes par les amis milliardaires. Passons sur le bouclier fiscal, sur le « premier cercle », sur le chantage toujours recommencé à la fuite des capitaux qui justifie chaque fois les mêmes cadeaux aux mêmes cadors. Passons enfin sur l’augmentation faramineuse de Son traitement, sur l’achat et l’aménagement somptuaire de Son avion, qui couvrent Ses exhortations à l’austérité d’aujourd’hui d’un voile d’indécence : le Prince l’ignorait sûrement, mais la République est allergique à l’esprit de lucre.

C’était en février 2007 et Nicolas Sarkozy disait : « Je veux que les ministres soient moins nombreux, quinze au maximum, et qu’ils rendent des comptes, s’engagent sur des résultats ». On verrait ce qu’on verrait ! Fantasme de boutiquier, à peine l’élection engloutie, un cabinet d’audit s’est mis au travail. Il a aujourd’hui disparu – plus rapidement, à vrai dire, que les ministres sans scrupules ou sans résultats, eux trop désireux de durer, quitte à exhiber sans pudeur leur pitoyable agonie, des cigares des uns aux permis de construire illégaux des autres, des voyages en avion privé aux logements de fonction, scandaleux. Quant aux ministres des finances soupçonnés par la justice, ils se portent bien, merci pour eux : on les envoie au FMI.

C’était en mars 2007 et Nicolas Sarkozy disait : « Je veux que les nominations soient irréprochables ». Irréprochable, à Ses seuls yeux sans doute, cette obsession constante d’humilier ceux qui résistent et de récompenser les autres. Tellement longue, la litanie des préfets limogés pour avoir offensé le Prince ; en Corse, pour avoir laissé un quarteron de manifestants franchir les grilles de la villa d’un de Ses amis ; dans
la Manche, pour n’avoir pas ôté de Ses oreilles le bruit de la colère populaire ; à Grenoble ou à Marseille, parce que Ses illusions sécuritaires se heurtaient au mur de la réalité.

On a vassalisé les procureurs. Et ceux contre lesquels on ne pouvait rien, inamovibilité oblige, ont été placardisés : aux plus indépendants, on a refusé toute mutation, à Nice comme à Nîmes. Quant aux juges, on les a injuriés, mutés sans préavis lorsque leurs décisions n’ont pas eu l’heur de plaire à ce pouvoir ou, ce qui revient au même, à la police. Le premier d’entre eux ne se laisse pas faire ? On le convoque, on prétend le tancer, on change la loi, même, pour le punir de l’avoir appliquée.

Nul n’est à l’abri du courroux présidentiel. Au Conseil d’État, à la fin 2008 et contre tous les usages, on a refusé de choisir le président de la section de l’administration parmi la liste présentée par le vice-président ; à la Cour des comptes, en juillet 2011, on a lâché les chiens pour insulter ceux qui, offense des offenses, venaient de publier un rapport accablant sur la politique de sécurité.

Et si certains en sont venus à parler, à témoigner, à dénoncer, ils ont été immédiatement balayés, souvent contre la légalité. Alors, la raison de l’État devenait toute la Raison. Marc Robert, magistrat, coupable d’avoir critiqué la réforme de la carte judiciaire, dégagé hors de toute procédure à la Cour de cassation ! Jean-Hugues Matelly, gendarme et chercheur, coupable d’avoir discuté le rapprochement de la police et de la gendarmerie, illégalement radié des cadres par décret présidentiel ! Philippe Pichon et Sihem Souid, policiers, coupables d’avoir révélé les turpitudes de leur hiérarchie, harcelés, traînés devant les tribunaux et suspendus !

Lorsque l’intérêt du Prince était en jeu, on a manié l’intimidation. Un journal révélait que Sa femme n’avait pas voté à l’élection présidentielle ? On faisait licencier le directeur de la rédaction.

Un site d’information s’intéressait de trop près aux affaires Bettencourt et Karachi ? On le comparait à une publication fasciste, on menaçait physiquement les journalistes qui travaillaient pour lui. Une comptable évoquait des remises d’espèces à plusieurs hommes politiques ? On la faisait entendre une dizaine de fois, on allait la chercher avec force troupes à six cents kilomètres de Paris, on faisait fuiter dans l’organe de presse officiel du pouvoir un procès-verbal de déclaration tronqué. Des rumeurs d’infidélité au sommet de l’État ? Des journalistes trop bien informés ? On faisait sonner la charge, on mobilisait les services secrets, on ordonnait de « brèves vérifications techniques »

Mais le Prince a su se montrer magnanime pour ceux qui l’ont servi comme on sert un seigneur. Ce quinquennat regorge de ces promotions exceptionnelles, gloires inattendues et ascensions incroyables – de la tentative de nomination à l’EPAD d’un jeune homme de vingt ans à celle d’un ami, au parquet de Nanterre, malgré l’avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Un final époustouflant

Frissons de l’alternance annoncée obligent, l’année 2011 restera toutefois comme la plus grandiose manifestation du népotisme qui a si souvent fait battre le coeur de ce pouvoir-là : le 19 janvier, Dominique Tibéri, nommé contrôleur général économique et financier malgré l’avis unanime de la commission d’évaluation ; le 25 février, le pâle Michel Hunault, ajouté en catimini par le gouvernement sur la liste des candidats au poste de juge à la Cour européenne des droits de l’Homme à seule fin de libérer sa circonscription ; le 26 mai, Christian Lambert, maintenu dans ses fonctions de préfet de la Seine-Saint-Denis par une loi conçue uniquement à son intention ; le 27 juillet, le très indépendant Jean-Claude Marin, nommé procureur général près la Cour de cassation ; le 14 septembre, Cécile Fontaine, collaboratrice du Prince, nommée conseiller-maître à la Cour des comptes contre l’avis – fait historique – du premier président ; le 28 septembre, Martine Valdès-Boulouque, éphémèrement proposée comme procureure générale de Bordeaux où est instruite l’une des affaires les plus sensibles du moment ; le 14 octobre, François Molins, le propre directeur du cabinet du garde des Sceaux, proposé comme procureur de Paris. Autrefois, on nommait son cheval…

C’était le 29 avril 2007 et Nicolas Sarkozy disait : « Nous conjurerons le pire en remettant de la morale dans la politique. Le mot morale ne me fait pas peur ». Et pourtant, la loi elle-même a été utilisée comme un cordon sanitaire entre la justice et la caste. En cinq années, le Prince a été mis à l’abri de toute poursuite tout en continuant à se constituer partie civile, des lieux entiers ont été soustraits à la curiosité des juges d’instruction par la magie du label « secret-défense », le « trafic d’influence d’agent public étranger » a été sauvé de toute incrimination pénale, les poursuites pour les crimes internationaux ont été enserrées dans des verrous tels que la société civile ne pourra jamais s’en saisir et, du « rapport Sauvé », qui voulait éliminer les conflits d’intérêts dans la vie publique, il ne reste plus rien. Le tableau de chasse est éloquent, il y manque deux belles pièces : ce pouvoir ne sera parvenu ni à supprimer le juge d’instruction, ni à revenir sur la prescription des délits financiers. Ce n’est certes pas faute d’avoir essayé.

Comme d’autres mais plus que tout autre, ce régime a su façonner à sa main un ministère public prompt à éteindre l’incendie des affaires. En octobre 2009, c’est une liste d’une trentaine d’affaires que pointait le Syndicat de la magistrature dans sa « Lettre ouverte à ceux qui feignent de croire en l’indépendance du parquet » : à chaque fois, le pouvoir était potentiellement mis en cause ; le parquet se déshonorait pour lui, à chaque fois. Depuis, la liste n’a fait que s’allonger. Il est même arrivé à certains membres de l’exécutif d’être pris les doigts dans le pot de confiture, comme lorsque Rachida Dati a écrit, dans la marge d’un dossier instruit par un juge, qu’il fallait « clôturer les investigations » ; lorsque Patrick Ouart a évoqué sans fausse pudeur le dossier de Liliane Bettencourt avec son conseiller financier ; ou encore, plus récemment, quand le subtil Brice Hortefeux a avisé Thierry Gaubert de ce que sa femme avait « beaucoup balancé » aux enquêteurs.

Le parquet, dans ces conditions, n’a pas été en reste. Il s’est toujours exécuté, et les dossiers avec : relaxe générale demandée dans le dossier Chirac, obstruction systématique dans l’affaire des « sondages de l’Élysée », saucissonnage de celle du Médiator... Assurément, ces derniers mois auront ajouré quelques pépites, exquises pour les chercheurs de dossiers enterrés par des fossoyeurs en hermine.

Mais, comme fruit de leur collusion, ce pouvoir et ses collaborateurs stipendiés n’ont récolté que le discrédit et l’accablement. Un certain ministère public a certes accepté de se déshonorer, mais il n’aura pas pu empêcher des juges d’arriver aux portes d’un régime agonisant au son de noms évocateurs : Tapie, Lagarde, Woerth, Takieddine, Gaubert, Courroye, Squarcini… À cette liste répond, en écho, celle des vestons rougeoyant des légions d’honneur du pays : Bourgi, Servier, De Maistre, Godet, Djouhri, Buisson, Pérol, Bazire...

2011 s’achève donc, comme le quinquennat, sur une double escroquerie politique et morale. L’heure des comptes a sonné et celle de la liquidation approche.

Effaré par l’ampleur des régressions et fidèle à sa vocation, le Syndicat de la magistrature s’est situé, au long de ces cinq années, dans une dynamique résolument exigeante et progressiste : sur la réforme du parquet, des nominations, de l’organisation judiciaire ou de la place de la pénalité, il a été porteur d’une vision novatrice et de propositions de nature à rompre radicalement avec les pratiques qui abîment la Justice, la République et la Démocratie.

Il n’y aura pas de transformation sociale sans révolution judiciaire. Que les conservateurs, les réactionnaires, les amateurs de justice muselée, les bien assis – que tous ceux-là se rassurent, nous y travaillons !