Des histoires

L'alchimiste

Mme X... était préparatrice en pharmacie dans une petite contrée d'une République Une et Indivisible qui assurait l'égalité de tous ses citoyens devant la loi. Cette citoyenne travaillait d'arrache pied pour un salaire de 1200 euros par mois. Mais voilà, Mme X... aimait les femmes, et surtout une en particulier.

Mme X aimait Mme W. Et Mme W aimait Mme X. Et très vite elles emménagèrent ensemble.

Les années passant, elles se résolurent à ne pas attendre que la gauche arrivât au pouvoir pour faire des enfants. Premiers aller-retour entre la République Une et Indivisble et un Royaume voisin où l'on mangeait beaucoup de frites. Première fécondation in vitro. Premier bébé.

Et premiers soucis financiers.
La compagne de Mme X... étant infirmière, elles gagnaient à elles deux 3000 euros par mois. Mais le coût d'une fécondation dans le Royaume voisin dépassait largement un double smic. Un prêt fut contracté et Mme X... décida de prendre un travail de nuit pour le rembourser. Elle distribuait donc le journal entre 4h et 8h du matin, juste avant de commencer sa journée à la pharmacie. De cette source de revenus supplémentaire, Mme X tirait environ 500 euros par mois, lui permettant de payer plus facilement les couches, les biberons et rembourser le prêt de la FIV.

Un bonheur ne se suffisant jamais à lui seul, les heureuses mamans décidèrent d'avoir un second enfant dans la foulée du premier. Une nouvelle FIV s'en suivit. Au Royaume voisin à nouveau. Et un deuxième emprunt vit également le jour. Mme X... distribuait toujours le journal la nuit, et ne comptait plus ses heures sup’ à la pharmacie, travaillant plus pour gagner plus comme le disait une formule (magique) de la République Une et Indivisible. L'investissement de cette salariée jusqu'alors modèle fut d'ailleurs souligné quelque temps après par ses patronnes, grandes seigneures, devant les gendarmes qui ne tardèrent pas à devoir intervenir....

Car voilà, les heures supplémentaires et les distributions de journaux ne suffirent plus. Mme X... commença donc à piquer dans la caisse de la pharmacie, discrètement, se disant que ce n'étaient là que des avances, qu’elle les rembourserait plus tard, une fois qu'elle aurait à nouveau un peu d’argent. La technique était simple, il suffisait d'une manipulation informatique consistant à faire disparaître les stocks de médicaments dans le logiciel (en simulant une vente demeurant fictive), puis d'annuler la vente sans toucher aux modifications du stock et d'empocher enfin le prix du produit.
Tirant profit des 20 % de réduction sur les produits du magasin pour les employés, Mme X rallongea également sa future ardoise avec divers médicaments et autres produits pour bébé qu'elle remboursait de moins en moins dans la caisse.

Ces petits arrangements avec l'argent de la pharmacie durèrent plus d’un an, pendant lequel ni ses patronnes ni ses collègues ne se rendirent compte de rien. Jusqu'au jour, où l’expert comptable faisant les comptes, découvrit le pot au rose.
Les patronnes ouvrirent de grands yeux ronds: “Mais comment est-ce possible? Comment a-t-on pu nous faire ça à nous alors que nous payons convenablement nos employées? C’est Mme X... à tous les coups! On avait déjà remarqué qu’elle prenait des couches et des boîtes de paracétamol pour bébé dans le magasin!”.
De retour à la pharmacie, les patronnes convoquèrent Mme X... qui immédiatement se dénonça, donna sa démission et promit de rembourser petit à petit.
Devant les gendarmes, les pharmaciennes témoignèrent en ces termes: “On pense que Mme X... vivait largement au-dessus de ses moyens avec sa compagne. Elles habitaient dans une maison et sont parties plusieurs fois à Walt-Disney avec leurs enfants. Je me rappelle même d’une fois où elle était allé voir un concert sur Paris avec son amie. Maintenant l’on sait comment elle payait les billets de train!”
Mme X... fut entendue par les enquêteurs deux années plus tard. Elle reconnut les faits sans difficultés. Quant à la question de savoir combien d’argent elle avait dérobé au total, elle ne se souvenait plus très bien. Peut-être 100 à 200 euros par semaine. 
 “Êtes-vous sûre que ce n’était pas par jour? 
- Oui, peut-être par jour, en fait je ne me souviens plus”.

Mirosso
Trois ans plus tard, l’affaire arriva enfin devant le Tribunal correctionnel de Céans. Mme X... comparut alors “pour avoir à... le..., en tout cas sur le territoire national et blablabla , frauduleusement soustrait la somme d’AU MOINS 10 000 euros au préjudice de Mme A et Mme B”.
Son avocat n’avait pas lu le dossier (un tome) et demanda à ce que l’affaire soit retenue pour qu’il ait le temps de le lire. Les pharmaciennes n'étaient pas présentes mais s'étaient faites représenter par une avocate BCBG, cheveux gris relevés par un énorme ruban noir, talons vernis et accent qui va bien avec le reste.
“Dossier n°12! Mme X Approchez s’il vous plaaaaît!”. 

Mme X... s’approcha de la barre. Elle était paniquée. C’était la première fois qu’elle comparaissait devant un tribunal. Elle avait les larmes aux yeux pendant l’instruction du dossier et n’arriva pas à parler quand son tour fut venu. 

- Alors comme ça Madame, vous alliez voir Mickey plusieurs fois par an?
- Non pas plusieurs fois par an Madame le président, c’est arrivé juste une fois, c’était le cadeau de Noël des petits et on avait payé avant que je commence à voler.
- Et pour cette histoire de concert à Paris? Vous aviez les moyens? 
- Mais, Madame la présidente, pour ce concert on est parti en covoiturage et j’avais acheté les billets un an en avance. C’était pour nos dix ans avec mon amie”.

Questions de la Présidente:

- Mme X., avez-vous les moyens aujourd’hui de rembourser les sommes réclamées par la partie civile?
- Non, mais avec mon amie on a rencontré notre banquier afin de voir dans quelles conditions on pourrait vendre notre maison. Et on a commencé à se renseigner sur les HLM disponibles dans les environs. On veut que toutes cette affaire s’arrête au plus vite...
 - Avez-vous un emploi actuellement?
- Oui, je suis en CDI comme ouvrière manutentionnaire pour un salaire de 1000 euros par mois
- Avec vos qualifications, vous n’envisagez pas de retrouver un emploi de préparatrice en pharmacie?
-  Si mais je n’ai pas retrouvé de poste dans ce secteur”.

Intervention de son avocat: 
    “Madame la Présidente, je me permets de vous signaler que la situation personnelle de Mme X est extrêmement compliquée en ce moment. Depuis cette histoire, sa compagne envisage une séparation. Il ne faudrait pas ajouter par votre décision de la souffrance à celle déjà présente”...

Vint la plaidoirie des parties civiles.

 “Mes clientes réclament à titre de dommages et intérêts en remboursement des sommes volées 15 000 euros. Elles n’ont pas eu le temps de faire le point avec leur comptable sur les comptes de la société pour évaluer précisément à combien s’élève le préjudice financier. Mais Mme X a formellement reconnu devant les gendarmes avoir volé entre 100 et 200 euros par jour ou par semaine. Si je fais le calcul, les victimes seraient en droit de réclamer au moins 36 500 euros. Mais comme elles sont compréhensives, elles m’ont chargé de ne réclamer que 15 000 euros à la prévenue”...

  "Monsieur le procureur, vous avez la parole pour vos réquisitions"
 
" Le vol commis par Mme X... n’est pas un banal larcin, tant au regard des sommes en jeu qu’au regard de la personnalité de ses victimes. Mme X. a volé ses propres patronnes alors que ces dernières lui avaient accordé leur confiance. Je rappelle qu’elle encourt la peine de trois années d’emprisonnement. Mais compte tenu de son casier judiciaire vierge, je ne requiers que la peine de 12 mois d’emprisonnement avec sursis”.

L’affaire est mise en délibéré. Le Tribunal rendra sa décision après la suspension d’audience”
...

Mme X, approchez s’il vous plaît. Le Tribunal, après en avoir délibéré, vous déclare coupable des faits qui vous sont reprochés. En répression, vous condamne à la peine de 8 mois d’emprisonnement avec sursis. Le tribunal reçoit Mme Y et Mme Z en leur constitution de partie civile. En conséquence, vous condamne à leur verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts. Vous pouvez disposer”.

Mme X a regardé la Présidente comme pour la remercier du coin des yeux de lui avoir permis de faire une économie de 5 000 euros sur le montant des dommages et intérêts réclamés par les parties civiles. Puis elle est repartie aussi seule qu’elle était venue...


La morale de cette histoire, Larirette larirette...Que les hommes sont des cochons et que les femmes aiment les cochons? A l'évidence pas dans cette histoire.
Une histoire qui nous rappelle d'avantage que quand des lois nécessaires nous manquent, nécessité fait loi...pour le meilleur et pour le pire.

Leçon d'équité n°1

La découverte de la vie en juridiction réserve bien des surprises. Et pas toujours de mauvaises. Tel fût le cas lors de la lecture d'un dossier, qui devait venir devant un Tribunal Pour Enfants.
C'était encore une de ces affaires où l'on sent que le sort s'acharne sur un de ces jeunes mal né, carencé, sans issue, et sans volonté.
C'était donc l'histoire d'un garçon que sa mère avait plus ou moins abandonné  et qui après plusieurs placements, avait, à l'âge de 16 ans, souhaité s'installer avec son frère, chez leur père. Malheureusement, le père avait bien du mal à prendre soin de lui (alcool, tentative de suicide, précarité sociale) et était bien embarrassé par la présence de ses deux fils à domicile.
L'aîné, descolarisé et « bien connu des services de police », se chargeait donc de l'entretien de l'appartement et avait même trouvé un emploi de livreur de pizzas pour apporter quelques revenus...qui s'avéraient malgré tout insuffisants.
Durant l'été, il avait donc cambriolé, avec quelques connaissances, une demi-douzaine de résidences principales de familles en vacances.
Il avait finalement été interpellé, placé en garde à vue, mis en examen et présenté au JLD, auprès duquel il avait expliqué avoir participé à ces cambriolages pour « remplir ses placards » et qu'il souhaitait « mener une vie normale ».
    Le Tribunal de Céans n'était pas celui de Château Thierry (qui fut sacrifié sur l'autel de la dernière réforme de la carte judiciaire...) et l'affaire ne fut pas jugée en 1898 par le bon juge Magnaud de permanence JLD, mais son esprit semble pourtant avoir encore bel et bien frappé durant l'été 2011...car tel est l'attendu qui fut rédigé par un de ces « petits juges du siège » pour refuser le placement du mis en examen en détention provisoire :
    « Attendu que les conditions matérielles d'existence de X...X... justifient partiellement ses actes délictueux; que la détention provisoire d'un mineur ne semble pas pouvoir se justifier par le seul risque de réitération; qu'il présente par ailleurs des garanties de représentation; »

Reste à savoir s'il est souhaitable de statuer en équité lorsque les lois sont mal faites...A défaut d'être juste, cela semble utile.  Mais la question reste entière et le débat reste ouvert...








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