Le juge, l'entreprise et le salarié

L'ENM invite Laurence PARISOT en grande pompe sans contradicteur en pleine crise sociale et économique ? 

Ni une ni deux, volant au secours du pluralisme et de la voix des salariés, la section syndicale a décidé d'organiser une conférence sur le juge, l'entreprise et le salarié. 

Au rendez-vous, deux grands spécialistes de la question..notre camarade Patrick HENRIOT, et Gérard FILOCHE, célèbre inspecteur du travail. 

Ci-dessous, la retranscription de leurs passionnantes interventions.


1. "Le juge, l'entreprise et le salarié", intervention de Patrick HENRIOT
2. "Reconstruire le Code du travail", par Gérard FILOCHE

LE JUGE, L’ENTREPRISE ET LE SALARIE
Patrick HENRIOT
(substitut général près la Cour d’Appel de Paris)


Le droit du travail est le trait d’union qui relie le juge, l’entreprise et le salarié ;

D’où une remarque liminaire, qui devrait irriguer tout le propos (et la discussion ?) :
le droit du travail ne peut pas être étudié sans égards pour le droit économique (d’ailleurs si l’entreprise est incluse dans le sujet, c’est bien qu’il s’agit aussi d’économie).

Antoine Lyon-Caen : « le droit du travail ne se comprend pas isolément du droit du capital ».

Certes, le droit du travail constitue une branche spécifique du droit et à ce titre il peut sans doute être étudié et compris comme un droit autonome dans une approche « universitaire » qui tend à en dégager les spécificités et la logique interne.

Mais ce qui compte aussi dans la compréhension de ce droit c’est la prise en compte des tensions qu’il traduit, des logiques antagonistes en présence (puisque la règle de droit est toujours la solution à des tensions antagonistes).
A ce titre, l’une des caractéristiques du droit du travail – si on va regarder un peu au-delà de l’opposition classique entre liberté d’entreprendre et protection des salariés - c’est qu’il est en partie induit par les modes d’organisation (au sens large : techniques, mais aussi juridique, financière …) des entités productrices de biens et services que sont les entreprises, modes d’organisation qui sont eux-mêmes surdéterminés par la prise en compte par leurs « propriétaires » d’impératifs de rentabilité économique  :

-          le taylorisme induit un salariat dont le travail est organisé selon une gestion rigoureuse du temps de travail : la segmentation des tâches et l’affectation d’un salarié à une seule tâche en vue de satisfaire une production planifiée implique qu’il travaille exactement le nombre de minutes nécessaire pour produire le nombre de pièces prévues ;
… dans ce cadre le droit du travail – comme les luttes syndicales pour le faire évoluer – met au premier plan la question du temps de travail (travail hebdomadaire, congés payés …)
… et le salaire est la contrepartie du temps consacré à l’employeur ;

-          l’économie du tertiaire induit un salariat dont le travail est organisé non plus selon une logique temporelle (le temps de travail n’est qu’une référence secondaire) mais selon une logique d’efficience : le travail salarié est intégré dans le développement de la culture du résultat ;
… le salaire est la contrepartie de l’implication du salarié dans la réalisation des objectifs de l’employeur,
… il n’y a plus de séparation nette entre le temps du travail et le temps personnel 
… et le droit du travail se réoriente vers les questions de l’évaluation des salariés (développement des licenciements pour insuffisance professionnelle …), de la santé au travail (les troubles psychosociaux, le stress …), du respect des droits fondamentaux attachés à la personne du salarié (droit à la correspondance sur Internet, vidéo-surveillance, géolocalisation) …

C’est en grande partie parce que les modes d’organisation des entreprises sont à la fois de plus en plus diversifiés (il n’y a plus un modèle d’entreprise) et, surtout, en perpétuelle recomposition, que le contenu du droit du travail est devenu si complexe, qu’il est si évolutif, plastique et pour une large part prétorien ;

Certes, on ne peut pas aller jusqu’à dire que le droit du travail serait un sous-produit du droit économique – ni même un produit dérivé – mais il est certain en revanche qu’il y a une interaction forte entre structuration des entreprises et encadrement de la relation de travail :
-          qu’il s’agisse du niveau d’encadrement (importance respective des règles impératives relevant de l’ordre public social et des règles négociées, individuellement ou collectivement),
-          ou des modalités de cet encadrement (contenu même de ces règles).

Il faut donc :
D’abord : essayer de voir ce qui est à l’œuvre, aujourd’hui, dans la recomposition des moyens de production des biens et services : quelles sont les lignes de force de la réorganisation du capital et quelles sont les conséquences de cette réorganisation sur la structuration et l’organisation propre des entreprises : on restera un instant sur le terrain économique pour tenter de mettre en évidence ce qu’il pourra donner à voir des évolutions du droit du travail ;

Ensuite :
Voir comment se traduit cette recomposition du point de vue des deux acteurs du droit du travail que sont :
- l’employeur (cette fois, on n’est plus sur le terrain économique mais sur celui de la relation de travail, d’où le passage du terme « entreprise » au terme « employeur » )
- le salarié

Enfin :
Essayer de discerner, dans ce contexte renouvelé, quels peuvent être la mission et le positionnement du juge.

Simples esquisses ; pour lancer le débat ;

I.                    La financiarisation de l’économie et ses conséquences sur la structuration des entreprises.

La libre (et rapide) circulation des capitaux et la masse considérable de ces capitaux en circulation (fonds de pension, fonds de placement, fonds souverains et, plus largement, tous les « zinzins ») ont fait des entreprises des objets – des cibles - d’investissement et de désinvestissement au même titre que les matières premières, les métaux précieux ou les monnaies ;

Cette « financiarisation » de l’économie emporte une profonde mutation non seulement de l’organisation mais de la conception même de l’entreprise : elle n’est plus tant perçue comme une entité ayant pour finalité la production de biens ou de services que comme un bien échangeable sur un marché globalisé : elle devient elle-même une marchandise.

L’impératif des investisseurs est de drainer le plus possible de l’énorme masse de l’épargne circulante et, pour ce faire, d’offrir le meilleur rendement possible. Dès lors, les objectifs des actionnaires de « l’entreprise marchandise » ne sont plus d’ordre patrimonial ou commercial mais de rentabilité financière : l’entreprise est moins gérée en vue de sa pérennité, de sa croissance et des dividendes attendus de ses résultats qu’en vue de sa cession à plus ou moins court terme et de la plus value qu’elle permettra de dégager,

Ceci implique un changement de composition et d’attitude de l’actionnariat :    
- auparavant : petits porteurs se désintéressant de la gestion de l’entreprise pourvu que les dividendes soient au rendez-vous ;
- aujourd’hui investisseurs institutionnels disposant de capitaux considérables, mus par des objectifs stratégiques et pesant sur les décisions de gestion pour s’assurer d’atteindre ces objectifs ;

Des études passionnantes[1] ont expliqué pourquoi et comment cette émergence de l’entreprise marchandise avait été rendue possible, notamment, par le développement de techniques juridiques et comptables destinées à rendre l’entreprise « liquide » et à faciliter sa circulation sur le marché (techniques d’extraction des valeurs d’échange - dont la titrisation - et d’usage …).

Elles expliquent notamment[2] comment les normes comptables :
- permettent la comparabilité des performances des entreprises,
- et favorisent ainsi les opérations d’acquisition et de fusion :
grâce à ces normes ces opérations sont le moyen de révéler et de valoriser, dans les comptes, les immobilisations incorporelles (fonds commerciaux, marques, brevets, listings de clients …) qui constituent le critère dominant de rentabilité des entreprises (Les dépenses induites pour créer les actifs incorporels sont comptabilisées en charges au moment où elles sont engagées, mais elles sont portées à l’actif des comptes consolidés en cas d’acquisition de l’entreprise qui les a supportées ou des comptes annuels de la nouvelle entité en cas de fusion ; le « goodwill » - l’écart entre le coût d’acquisition et la valeur nette comptable – est donc révélé et valorisé par l’opération).

Et ces opérations d’acquisition et de fusion s’accompagnent ou sont suivies de réorganisations incessantes de l’entreprise tendant à en augmenter a rentabilité et passant par :
-          son éclatement en unités distinctes : organisées soit en « centres de profit » soit en dissociant les fonctions de production et les différentes fonctions support
-          le cas échéant l’externalisation de certaines fonctions
-          et, surtout, la structuration en groupes ayant à leur tête une société mère (ayant une activité propre) ou, le plus souvent, une holding (exclusivement dédiée à la gestion financière de ses investissements) ;

Pour mesurer l’importance du phénomène il faut savoir qu’il y avait déjà, en 2006, huit millions de salariés qui travaillaient dans un groupe (contre deux millions en 1989) l’explosion la plus spectaculaire étant celle des micro-groupes, c’est à dire ceux regroupant moins de 500 personnes … 

Quel que soit le secteur d’activité l’organisation en groupes de sociétés permet de localiser les actifs où on veut au sein du groupe : on prend une usine, on la place dans une entité juridique – une société – cela devient une entreprise avec à sa tête un dirigeant qui devient du même coup un employeur ; l’essentiel est d’organiser le lego du groupe de telle sorte que les flux financiers puissent remonter vers la holding ;

Quant à leur impact sur le droit du travail, ces mouvements incessants d’acquisition suivis de restructurations dans des logiques de groupe expliquent, par exemple :

-          l’importance considérable qu’a pris le contentieux lié à l’application de l’article L 122-12 CT (devenu  L 1224-1) et de la directive du 12/3/2001, au regard notamment du critère jurisprudentiel de « l’entité économique autonome » comme condition du transfert de plein droit des contrats de travail des salariés de l’entreprise transférée à l’occasion de toute « modification dans la situation juridique de l’employeur »…

(Au demeurant, cette règle à finalité protectrice peut être utilisée au détriment des salariés dans le seul but de favoriser la valorisation d’éléments d’actif : j’achète une société cible, je la scinde en deux entités, dans l’une (A) je loge les éléments d’actif incorporels : brevets, clientèle, trésorerie, dans l’autre (B) je place l’outil de production, que je sais obsolète (au besoin en faisant miroiter des investissements en vue d’une réorientation de la production vers d’autres types de biens) : les salariés sont transférés dans B qui périclite rapidement puis est liquidée : les licenciements sont pris en charge par la collectivité (AGS) et je récupère la valeur des actifs incorporels – soit par cession, soit par fusion avec une autre entité du groupe qui dispose d’un outil performant …)

- ou encore l’importance du contentieux de l’UES (notion prétorienne) qui tend à restituer, pour la mise en œuvre des IRP, un cadre commun à des entités juridiquement distinctes, fondé sur l’observation d’un certain niveau d’intégration économique et sociale ;

Plus généralement, les réorganisations consécutives à des acquisitions à finalité de plus value rapide induisent une pression sur la composante « travail » de l’entreprise : la rentabilité à court terme passera en effet le plus souvent par une politique de réduction des coûts, laquelle passera elle-même par une contraction de la masse salariale.

C’est particulièrement le cas lorsqu’est mise en œuvre l’une des techniques d’acquisition de cet actionnariat financier les plus connues : le LBO ; un fonds d’investissement constitue une holding qui a vocation à racheter les titres d’une société cible : une partie des capitaux nécessaires sera apportée par le fonds, l’autre partie étant empruntée sur le marché bancaire. Les dividendes provenant de l’activité de la cible permettront de rembourser l’emprunt (c’est l’effet de levier) l’objectif final étant de valoriser la cible pour obtenir une plus value à la revente. Cette technique suppose donc d’augmenter fortement la rentabilité à court terme à la fois pour rembourser l’emprunt le plus vite possible et sur-valoriser l’actif.[3]

L’impératif de réduction des coûts induira donc généralement des licenciements collectifs qui expliquent l’importance considérable prise par les « plans sociaux » (devenus les Plans de Sauvegarde de l’Emploi), lesquels ont eux-mêmes ouvert un contentieux spécifique tenant à la justification économique de la décision de licencier : on sait à quels distinguos subtils conduit la Jurisprudence de la Cour de Cassation justifiant un licenciement économique motivé par la nécessité de « sauvegarder la compétitivité de l’entreprise » …. ;

Cela pose tout le pb de ce qu’est le niveau de compétitivité en-deça duquel des mesures de sauvegarde sont justifiées ;
Or la compétitivité qu’il s’agit de sauvegarder s’appréciera souvent  :
-          soit au regard du niveau moyen de rentabilité du secteur d’activité considéré, la normalisation comptable permettant une comparaison constante (benchmarking)
… sans pour autant que la moindre compétitivité d’une entreprise du secteur justifie nécessairement des mesures de sauvegarde présentées comme indispensables ;

-          soit, même, au regard des objectifs de rentabilité fixés par la société tête de groupe :
… c’est encore la comptabilité de gestion (compta analytique et prévisionnelle - par opposition à la compta générale, qui ne sert qu’à communiquer en uniformisant la présentation des résultats) qui impose des modèles tendant à justifier des restructurations présentées comme indispensables à la sauvegarde de la compétitivité alors qu’elles ne tendent qu’à satisfaire des objectifs de rentabilité accrue.

Et, accessoirement, on se demandera si cette compétitivité doit s’apprécier au regard des résultats de la filiale ou au regard des résultats consolidés du groupe, la localisation des différentes entités dans des structures juridiques distinctes permettant toues les présentations possibles ….

Indépendamment, même, des décisions de licenciement, les objectifs d’accroissement de la rentabilité par la réduction des coûts pourront plus largement motiver toutes sortes de décisions :
… de fixation d’objectifs de productivité, de cessation de telle activité, de délocalisation de telle autre, de réorganisation de tel site ou de dénonciation de tel accord,
… lesquelles influeront directement sur le niveau de l’emploi et l’organisation du travail.

II.                 Le « statut » d’employeur dans l’économie financiarisée : une mise à distance qui  confine à la dilution du concept.


On assiste à une conjonction d’effets induits par l’avènement de l’entreprise marchandise et par les restructurations auxquelles il donne lieu, qui ont tous pour résultat de mettre l’employeur réel à distance, hors de portée des salariés qu’il emploie :

-          1) Les dirigeants sont beaucoup plus qu’avant placés sous la pression de l’actionnariat : ils se voient souvent imposer des orientations stratégiques qui ne correspondent pas nécessairement à leur conception de l’intérêt de l’entreprise à moyen et long terme ;

ils sont ainsi souvent placés en situation d’être des exécutants plutôt que des décideurs ;

or, ils restent les employeurs juridiques (« de droit ») mais sans être les décideurs économiques, donc sans avoir entre les mains les options et les pouvoirs dont dépend le volume, la localisation et la gestion des emplois.

-          2) cette dichotomie enter l’employeur de droit et « l’employeur actionnaire » est renforcée par la structuration en groupes : les centres de décision ne sont plus localisés dans la société qui incarne juridiquement l’entreprise mais concentrés dans la société mère où la holding de tête, avec tous les écrans qu’interpose la fiction de la personnalité morale ; 
l’employeur de droit est le représentant légal de la filiale, tandis que le véritable employeur, l’employeur économique, est ailleurs, inatteignable :
… et l’employeur de droit est d’autant plus privé des attributs habituels de l’employeur quand, comme c’est de plus en plus souvent le cas, il est lui-même salarié par la sté mère pour exercer les fonctions de dirigeant d’une filiale …

-          3) La dichotomie entre l’employeur réel et l’employeur juridique est encore renforcée par la technique du droit des sociétés qui a fait émerger la SAS comme modèle dominant :
distinction nette entre pouvoir de direction (gestion) et pouvoir de représentation à l’égard des tiers (dont les salariés) ; liberté totale d’organisation du pouvoir de direction et attribution obligatoire du second au seul organe imposé par la loi : le président.
Or, après d’âpres débats en doctrine et devant les juges du fond, la Cour de Cassation a admis que pouvaient néanmoins exister des délégations de pouvoirs qu’elle qualifie de « fonctionnelles » et qu’au surplus ces délégations pouvaient n’être que tacites. Et s’agissant notamment de la décision de licencier elle a ajouté qu’à défaut même de telles délégations ou de dépassement de ses pouvoirs par le délégataire, la société peut néanmoins ratifier a posteriori la décision prise par lui (qui peut d’ailleurs ête l’un de ses subordonnés) par exemple en soutenant le bien-fondé » du licenciement devant le juge prud’homal ….[4]

Conséquences quant aux licenciements individuels : le délégataire, lui-même salarié le plus souvent, qui met en œuvre la procédure de licenciement - et mène à cet effet l’entretien préalable - n’a en réalité aucun des attributs nécessaires pour que cette procédure corresponde à ce que le législateur a entendu en faire : d’abord un moment de débat au cours duquel l’employeur informe le salarié, l’entend et assume une vraie confrontation des points de vue, puis un véritable arbitrage entre ces points de vue à l’issue duquel la décision de prononcer le licenciement ou d’y renoncer est prise en pleine connaissance de cause et avec le pouvoir d’engager l’entreprise.[5]

Conséquences symétriques - mais aggravées - quant aux licenciements collectifs : celui qui met en œuvre la procédure de licenciement collectif et le PSE n’est pas celui qui a pris la décision de licencier ; or cette procédure spécifique n’a, également, de sens que si celui qui la mène a tous les éléments en main pour l’expliquer et la justifier et tous les pouvoirs nécessaires pour, le cas échéant, la modifier, voire y renoncer …
(il est au demeurant fréquent que le directeur d’un site de production ou le dirigeant d’une sous-filiale apprenne la fermeture du site quelques jours avant les salariés eux-mêmes : elle aura pu être décidée plusieurs mois ou plusieurs années avant et, dans l’intervalle, on leur aura expliqué que le maintien de cet outil de production serait assuré si la productivité était augmentée de tant pour cent … ).

Le salarié n’a donc plus son employeur en face de lui : le débiteur des obligations légales que le code du travail met à la charge du chef d’entreprise s’incarne dans un vague délégataire ne disposant d’aucune des prérogatives de l’employeur réel et simple exécutant d’une décision qui le dépasse lui-même ;

Du point de vue des salariés l’employeur n’est même plus à distance, il est invisible, quelque part hors de la structure juridique qui l’emploie.
Et il est aussi invisible pour le juge, qui doit franchir l’obstacle de la fiction de la personnalité morale s’il veut « saisir » le vrai décideur (mettre à sa charge les obligations légales de l’employeur).

Les effets de cette dilution de l’employeur sont, bien entendu, également considérables en matière d’exercice des droits collectifs à l’information et à la consultation des Institutions Représentatives du Personnel, ainsi qu’en témoigne le développement du contentieux lié aux missions d’expertise comptable décidées par les comités d’entreprise à l’occasion des opérations de restructuration et/ou de licenciements collectifs : la séparation des personnes morales constituant le groupe, la localisation de la holding à l’étranger et bien d’autres prétextes encore sont invoqués pour tenter de justifier, par exemple, le refus de la filiale de communiquer le business plan établi par la holding …

III.               Incidences sur la situation du salarié : dilution parallèle du concept classique de la relation subordonnée.


Alors que la gestion du collectif de travail comme outil de performance est reportée en amont, la responsabilité directe de l’emploi est reportée en aval, sur un ensemble de structures inféodées.

Mais elle est de plus en plus reportée sur le salarié lui-même : la comptabilité analytique expose tous les acteurs à la comparaison de la valeur de leur travail :
… les salariés sont de plus en plus responsabilisés non plus sur des critères de disponibilité mais sur des critères tenant à leur capacité à intérioriser les objectifs de l’entreprise :
… c’est par la vérification de leur efficience au regard des résultats attendus de chacun d’eux que les salariés s’assurent du maintien de leur emploi :
… le bilan de compétence est le tableau de bord de la gestion de leur carrière et l’indicateur de leur employabilité.

Dans ce contexte la relation de travail est :
-          de moins en moins celle qui s’établit entre un prescripteur disposant d’un pouvoir de direction sur un exécutant subordonné qui loue sa force de travail sur un critère de temps,
-          et de plus en plus celle qui s’établit entre un client qui fixe à un prestataire de services le prix de sa prestation en fonction de résultats à atteindre.

En témoignent :
-          le développement de toutes les techniques qui permettent d’éviter ou de masquer la relation subordonnée : interim, mais aussi sous-traitance exclusive, franchise, portage salarial …

-          le développement de tous les modes de fixation de la rémunération au résultat ou, surtout,  forfaitisés : le forfait jours (tant de jours travaillés dans l’année) initialement réservé aux cadres supérieurs a connu un développement considérable et s’est étendu à des catégories plus larges au gré des différentes réformes du temps de travail en même temps que l’encadrement du recours à ce procédé était de plus en plus allégé … au point de générer à son tour un contentieux abondant et spécifique ;

-          l’importance prise par des processus d’évaluation des salariés reposant largement sur l’intégration de la culture d’entreprise et la mise en œuvre de critères comportementaux  supposant une soumission aux objectifs du groupe : il ne s’agit plus d’évaluer le travail accompli mais d’évaluer comment le salarié a obtenu ses résultats pour vérifier son adhésion à ces objectifs : cf arrêt « Airbus » Toulouse 21/9/2011 RG n° 11/00604 : illicéité au regard de L 1222-2 CT de critères comportementaux en ce qu’ils ne sont pas exclusivement professionnels et pas suffisamment précis pour permettre à l’évaluateur de les apprécier avec la plus grande objectivité possible (idem CA Versailles 8/9/2010 RG n° 10/02253 et 10/03112).

La responsabilisation des salariés face aux impératifs de productivité assignés par le groupe est évidemment facteur de concurrence ente eux (d’où l’importance du contentieux généré par l’application du principe prétorien « à travail égal salaire égal »)
… et par voie de conséquence d’isolement dans une relation de travail de plus en plus individualisée.

Car ce mouvement s’accompagne logiquement d’un abandon progressif de l’encadrement de la relation de travail par des règles générales impératives au profit d’un droit du travail de plus en plus négocié …
… Non seulement dans le cadre de la négociation collective qui autorise aujourd’hui la conclusion d’accords dérogatoires et ce, y compris, parfois, au niveau le plus proche de l’entreprise (conditions d’application du forfait jours),

… mais également au niveau de la relation individuelle comme en témoigne la rupture conventionnelle …

Et cet isolement du salarié est au demeurant renforcé par la l’éclatement des entreprises en petites unités qui, par l’effet des règles de seuils d’effectifs excluent toute capacité d’information et d’analyse collective sur les stratégies du groupe (+ de 50 pour un CE).

C’est donc bien à une sorte de dilution de la relation de travail subordonné que l’on assiste ….

IV Mission et positionnement du juge.


1)     quelle mission ?

Tout simplement, mais ça n’est pas rien, remplir son office :

-          en refusant les stratégies qui tendent à organiser son évitement :

- par exemple celle qui tend à développer la médiation – sorte de privatisation d’une justice qui devient du même coup payante - comme palliatif à l’insuffisance des moyens des juridictions du travail (antinomie de la médiation et d’un ordre public social qui n’autorise pas toujours la libre disposition de ses droits) ;
- par exemple en s’attachant à exercer un véritable contrôle de la réalité du consentement éclairé en matière de rupture conventionnelle ;

-          en allant jusqu’au bout de la mise en œuvre de ses compétences (ne pas juger « petit bras ») :

- par exemple dans le contrôle du motif économique : aller rechercher la réalité des impératifs économiques et de l’organisation des relations de travail au-delà des apparences d’un capital « segmenté » et sans craindre de porter une appréciation sur les choix de gestion de l’employeur dès lors qu’ils ont une incidence sur l’emploi : arrêts des 18/1/2011 N° 09-69199 (holding et filiale co-employeurs en l’absence d’autonomie de la filiale) et 1/2/2011 N° 10-30045 à 10-30048 (légèreté blâmable de l’employeur qui licencie par suite de « la décision de fermeture d’une filiale prise au niveau du groupe dans le seul but d’améliorer sa propre rentabilité au détriment de l’emploi ») ;

- par exemple en exerçant à plein les compétences du juge des référés en matière de trouble manifestement illicite (cf : Pierre Drai : « Pour un juge qui toujours décide »).


2)     Quel positionnement ?

Faire jouer à plein la logique de protection des salariés qui sous-tend le droit du travail et en assurer ainsi la cohérence ;

… En recourant chaque fois que nécessaire aux normes supérieures :
Cf arrêt 29/6/2011 N° 09-71107 FS P+B+R+I forfait jours (constitutionnelles - al 11 du préambule de la Constitution de 1946 : droit à la santé et au repos - et conventionnelles : charte sociale européenne (pendant de la CEDH dans le domaine social) charte des droits fondamentaux …
.. mais aussi conventions de l’OIT (ex : invalidation du CNE comme contraire à la convention 158) ;

3)     Quel juge : variété des fonctions appelant à la pratique du droit du travail :

TI : contentieux électoral (UES) et juge départiteur (licenciement éco) ;
TGI : droit pénal du travail et contentieux civil collectif (référé et fond)
CA : chambres sociales


« La jurisprudence, comme les plantes, pousse par les racines … »











[1] Charley Hannoun : « L’émergence de l’entreprise-marchandise » RDT Janvier 2010 p. 22
[2] Samuel Jubbé : « La normativité comptable : un angle mort du droit social » RDT Avril 2009 p. 211
[3] « L’objectif du LBO n’est pas de s’inscrire dans du long terme » Semaine sociale Lamy 22 février 2010

[4] Patrick Henriot : « La délégation de pouvoirs fonctionnelle : un cheval de Troie dans les SAS ? » Semaine sociale Lamy 29 novembre 2010 n° 1469 p. 6
[5] Patrick Henriot : Incidence de l’organisation des pouvoirs au sein de la SAS sur la validité de la décision de licencier » Le Droit Ouvrier septembre 2010 n° 746 p. 469



RECONSTRUIRE LE CODE DU TRAVAIL
Gérard FILOCHE
(ancien inspecteur du travail)


Au cours de la dernière décennie Chirac/Sarkozy, le code du travail a été passé à l’acide des exigences du Medef. Il a été gravement « recodifié » entre décembre 2004 et le 1er mai 2008 dans un silence quasi général. Profondément malaxé, déstructuré, diminué.
Dans la campagne présidentielle, il va bien falloir aborder le sujet, si déterminant pour la vie intime quotidienne de 28 millions de salariés du privé.
Reconstruire le Code du travail en 10 points :

1°) Réduire la durée légale et maxima du travail : 35 h légales, 44 h maxima, 5 jours de travail et 2 jours de repos consécutifs par semaine
Il n’y aura pas de réduction du chômage de masse, 5 millions de chômeurs, sans réduction du temps de travail. Tout n’a pas été essayé contre le chômage, il faut reprendre la marche en avant des 35 h vers les 32 h, des 48 h vers les 44 h.
La première préoccupation est de réduire la durée réelle de la semaine de travail au plus prés de la durée légale de 35 h et de la poursuivre en lien avec la santé des salariés et avec l’emploi de tous. En lien avec le retour de la retraite à 60 ans. Le « temps de travail effectif » sera défini comme le « temps où le salarié est subordonné à l’employeur ». Il intégrera ainsi les pauses forcées, les temps des trajets imposés, d’habillage obligatoire et de casse-croûte indispensables sur le lieu de travail en journée continue. Les heures supplémentaires doivent redevenir « ponctuelles et imprévisibles », donc exceptionnelles, (selon un accord signé par le patronat le 31 octobre 1995). Elles doivent être majorées de 50 % pour les 5 premières heures et de 100 % pour les suivantes de façon à les rendre plus coûteuses que l’embauche. Le contingent annuel d’heures supplémentaires doit, dans un premier temps, revenir à 130 heures et, par la suite, être réduit à 100 heures. La durée du travail légale annuelle sera rétablie à 1600 h annuelles, le « forfait jour » sera abrogé, le temps de repos quotidien porté à 13 h, tout sera mis en oeuvre pour que toutes les heures de travail effectif soient comptabilisées de façon fiable et transparente, contrôlables par les salariés eux-mêmes, les syndicats et l’inspection du travail. Il faut dire « stop » à la flexibilité en protégeant la santé, la vie libre et l’emploi.
Les sanctions aux délits de « travail dissimulé » seront majorées et appliquées. Nous rétablirons, sauf cas de force majeure et dérogations bien précises, les deux jours de repos consécutifs hebdomadaires et le principe du repos dominical sera renforcé. En cas de dérogation exceptionnelle, il sera attribué une majoration de 100 % ainsi que pour le travail de nuit, afin d’en rendre l’usage dissuasif pour les femmes et les hommes. De façon générale, les travaux du dimanche et de nuit seront soumis à dérogation et à contrôle : l’interdiction aux mineurs sera rétablie. Les aides publiques pour les 35 h seront réservées aux petites et moyennes entreprises (moins de 50 salariés) et seront versées en proportion du nombre d’embauches réalisées et maintenues, suite à la réduction réelle du temps de travail. Ces aides seront distinctes selon les seuils sociaux (moins de 10 salariés, moins de 20 salariés et moins de 50). Elles feront l’objet d’une « convention » avec la puissance publique, elles seront liées au respect du Code du travail, blocables avec effet immédiat, et restituables comme toute aide en cas d’infraction aux accords passés.

2°) Stopper la précarité en instaurant un plafond de précaires par entreprise : la loi fixera un quota maximal d’intérimaires et de contrats à durée déterminée égal à 5 % maxi des effectifs dans les entreprises de plus de 20 salariés sauf dérogation exceptionnelle préalable.
La loi augmentera l’indemnité de précarité d’emploi pour la rendre dissuasive : dans un premier temps à 15 %, pour les CDD comme pour l’intérim. L’usage de contrats précaires sur des postes permanents sera plus durement sanctionné. La requalification en CDI de CDD successifs sera facilitée autant pour le secteur public que pour le privé. La durée d’un CDD et de tout contrat précaire sans exception sera au maximum d’un an et au-delà sera requalifié automatiquement en CDI. Les périodes d’essai seront ramenées à 3 mois maximum. Tout allègement des cotisations sociales encourageant les emplois à temps partiel et précaires sera supprimé. La loi établira une complète égalité des droits entre salariés à temps plein et salariés à temps partiel, organisant la priorité pour revenir à temps plein. Elle limitera à 1 h au maximum l’interruption entre deux plages de travail au cours d’une même journée, pour tout temps partiel, avec pénalité forte en cas d’infraction. Elle encadrera le temps partiel, en CDI, intérimaire ou saisonnier, freinera les abus, empêchera qu’il soit un ghetto subi pour les femmes et non qualifiés, le valorisera de façon à ce qu’il ne soit pas le lot des « travailleuses pauvres ».

3°) Établir un nouveau contrôle administratif sur les licenciements : en 1986, la droite avait supprimé le précédent contrôle de l’administration sur les licenciements qu’elle avait elle-même instauré en 1975 et dont les prémices existaient depuis 1945.

L’inspection du travail, saisie par un syndicat, pourra suspendre la procédure dès lors qu’il y a « un doute manifeste » sur le bien fondé du licenciement. Le salarié restera dans l’entreprise et si l’employeur veut poursuivre la procédure, ce sera à ce dernier d’apporter la preuve de son bien fondé devant le juge concerné. Pour les licenciements collectifs, la « loi de modernisation sociale » sera rétablie et améliorée de façon à donner à la puissance publique les moyens d’interdire effectivement, les délocalisations et licenciements boursiers, spéculatifs, ne reposant pas sur des difficultés économiques réelles et sérieuses. Le contrôle et la taxation massive des délocalisations boursières et des externalisations artificielles est l’arme par excellence contre l’avidité du capital financier.
Si l’existence de réelles difficultés économiques n’est pas reconnue, l’inspection du travail pourra rendre la procédure « nulle et de nul effet » en dressant un « constat de carence » dans un délai de huit jours après la fin de toutes les procédures, lorsque « les mesures visant au reclassement sont insuffisantes », sauf si le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, à la majorité, constatent que l’employeur a fait les efforts nécessaires en matière de reclassement et d’indemnisation des salariés concernés et qu’il a mené une politique active de ré-industrialisation du bassin d’emplois touché par la fermeture éventuelle du site.
Acharné à supprimer tout motif pour licencier, après avoir échoué sur le CNE et sur le CPE en 2006, l’UMP a fait voter la proposition du Medef de « rupture conventionnelle » non motivée. C’est devenu le plus grand plan non-social de licenciement de toute notre histoire récente : 600 000 contrats rompus sans contre partie sociale depuis octobre 2008. Une catastrophe. Cela doit être abrogé. Toute rupture de contrat doit redevenir expréssément motivée.

4°) Réguler la sous-traitance : contre les « externalisations » artificielles, les cascades de sous-traitance organisées par des grands groupes pour contourner les seuils et droits sociaux. Conduire une politique nouvelle de régulation et de protection pour 97 % des entreprises (qui ont moins de 50 salariés !) avec trois mesures essentielles :
- Rendre pénalement et civilement, économiquement responsable de façon incontournable le donneur d’ordre de pour que celui-ci ne puisse passer des marchés à des conditions avilissantes et se dégager des conséquences qui en résultent.
- Aligner les conventions collectives des sous traitants sur celle du donneur d’ordre le temps de l’exécution des marchés, selon le principe existant déjà dans le Code du travail pour les CDD et les intérimaires.
- Faciliter la reconnaissance des unités économiques et sociales (UES), et la lutte contre les fausses franchises, l’éclatement artificiel des établissements, le faux travail indépendant, le marchandage et le prêt illicite de main d’œuvre.
Cela revient à abroger les lois Madelin, Fillon, Dutreil, Larcher, des pseudo « auto entrepreneurs » qui ont encouragé les « découpes » d’entreprise, et toutes les formes de recours au marchandage, au prêt illicite de main d’œuvre, à la sous-traitance dérégulée permettant à des donneurs d’ordre de surexploiter les artisans, ou petites entreprises privées de réelle autonomie et de droits pour leurs salariés, poussées notamment à utiliser du travail illégal dissimulé.
5°) Redévelopper la démocratie syndicale et sociale. Il dépend d’une volonté républicaine de redonner toute leur place dans notre pays aux syndicats. Les syndicats, indispensables à la vie démocratique et sociale, ont été atteints et diminués par la montée du chômage, par une très vive répression patronale, par la déréglementation des droits du travail.
C’est au législateur de corriger ce déséquilibre nuisible à toutes les relations sociales. Il faut leur redonner les moyens juridiques, moraux et matériels de jouer un rôle de premier plan. Pour donner une légitimité démocratique à la représentation syndicale, les élections prud’homales et les élections qui seront rétablies et étendues à la gestion de toutes les caisses de protection sociale (Sécu, chômage, retraites, accidents du travail et maladie professionnelle, allocations familiales), devront se tenir le même jour, une fois tous les 5 ans. Ce jour sera chômé afin que chacun puisse voter librement. Les syndicats seront aidés financièrement par la puissance publique pour pouvoir défendre leurs points de vue et solutions dans de vraies campagnes électorales, citoyennes, éducatives. Ce financement public ne saurait se substituer aux cotisations ni mettre en cause l’indépendance syndicale, il viendra en complément et en proportion des adhérents réels et du nombre de voix obtenues aux différentes élections.
Les élections professionnelles et celles des comités paritaires de la fonction publique seront organisées à dates fixes le même jour, tous les deux ans au plus, dans chaque branche, de façon à permettre popularisation et intérêt pour celles-ci. Ces élections nationales entreront en ligne de compte pour la reconnaissance et le financement de la représentativité syndicale.
6°) Renforcer les moyens et les pouvoirs des instances représentatives du personnel. Le redéploiement de la démocratie sociale nécessite une extension des missions des Comités d’entreprise et, à défaut, une extension des missions et moyens des délégués du personnel (DP : entreprises de plus de 10 employés) et des conseillers du salarié (entreprises ou il n’y a pas de DP). Les comités d’entreprises, élus tous les deux ans au plus, ne seront plus seulement consultés, mais ils pourront sur certaines questions donner un « avis conforme » sans lequel l’employeur ne pourra imposer sa décision. Cela rétablira une obligation de négocier, avec des résultats. Cela portera sur des questions clés et délimitées : horaires, application des conventions collectives, pour lesquelles, l’employeur ne pourra pas imposer ses décisions sans avoir obtenu l’avis préalable et conforme de ces instances, comme c’est déjà le cas pour les comités d’entreprise (à propos des modifications d’horaires individualisés et de changement de centre de médecine du travail). Les conseillers du salarié se verront augmenter en nombre, en moyens, crédit d’heures, avec la possibilité d’être saisis par les salariés, là où il n’y a pas de délégués du personnel, et d’intervenir légalement comme interlocuteurs des employeurs sur les questions ayant trait à l’application du droit et des conventions collectives.
7°) Développer l'hygiène et la sécurité au travail. Protéger la santé au travail en lien avec la réduction du temps de travail et le recul de la précarité est un aspect décisif de l’ordre public social. Nous prendrons toutes les mesures pour réparer complètement, ce qui est loin d’être le cas, les accidents du travail et les maladies professionnelles. La souffrance au travail, le stress, les risques psycho sociaux, les suicides, de nouvelles formes de maladies liées au travail (AVC) se sont considérablement développées.
Nous re-développerons la prévention, et donnerons toute son indépendance et ses moyens à la médecine du travail. Le taux d'exposition aux risques étant plus élevé dans les petites entreprises, il faut abaisser les seuils à 20 salariés, initier des Comités « hygiène, sécurité et conditions de travail » (CHSCT) de site et de branche, départementaux, donner davantage d'heures de délégation, une meilleure formation de qualité, et un budget. Les CHSCT, c'est la prise en main par les travailleurs concernés de leur propre sécurité, la meilleure prévention pourvu qu’ils aient les moyens humains et matériels de faire face à toutes leurs obligations. Les CHSCT seront élus et non plus désignés, auront un budget et un statut propre, dans toutes les entreprises de plus de 20 salariés, leurs membres seront formés et disposeront de crédits d’heures suffisants pour exercer leur mission assurant tous les domaines de la sécurité au travail prévus dans leurs fonctions. Une « obligation de faire » sous astreinte sera instaurée en matière d’hygiène sécurité.

8°) Stop aux discriminations. Donner les moyens aux institutions, syndicats, IRP, inspecteurs du travail, prud’hommes, tribunal pénal, d’agir contre et de sanctionner toutes les formes de discrimination et de harcèlement au travail et dans l’entreprise.
Cela concernera les discriminations syndicales en premier chef car il faut mener une grande campagne pour les droits, la réhabilitation et la protection du syndicalisme contre la chasse aux sorcières régnante. Mais aussi à l’égard des immigrés, des jeunes, seniors, ou à l’égard des orientations sexuelles. À commencer par les discriminations à l’égard de femmes, en matière de salaires, de promotions et de congés maternité. L’égalité salariale devra être établie par la loi partout en un délai d’un an sous peine d’astreintes et de lourdes sanctions financières. Ce sera l’objet d’une campagne nationale d’information, d’éducation et de sanctions sans lesquelles rien ne sera possible. Les conventions collectives devront comporter des chapitres obligatoires sur l’évolution des carrières, des qualifications, des niveaux, échelons et coefficients salariaux, pour tous et toutes explicitement selon les grilles de métiers et les expériences acquises. Les femmes de retour de congés maternité devront retrouver un poste identique et seront protégées pendant 18 mois après leur retour.

9°) Pour une vraie Sécurité sociale professionnelle
, quatre droits fondamentaux constitutifs seront mis en œuvre :
- Le droit au reclassement
Le droit au revenu
Le droit à la protection sociale
Le droit à la formation continue
La formation des salariés tout au long de la vie ne doit pas être un prétexte du patronat, pour licencier. Il ne s’agit pas d’échanger une sécurité de l’emploi pour l’ombre d’un reclassement aléatoire. Ni de permettre au patronat de rejeter la formation hors du temps de travail et de ne pas en payer le coût. Les formations des demandeurs d'emploi doivent être rétribuées dans les mêmes conditions que le chômage : 75 % des derniers salaires. Ce droit sera financé dans le cadre du droit au revenu de la Sécurité sociale professionnelle, de l'assurance maladie et de la retraite.
Cela impose la création d’un grand service public de la formation professionnelle doté des moyens nécessaires, tant humains que financiers permettant de délivrer des certifications reconnues par l'Etat et intégrées dans les conventions collectives.
Ce droit à la formation ne doit pas permettre de légitimer l'abaissement du niveau du socle minimum de connaissances que l'école doit permettre à chacun d'acquérir, sous prétexte que la formation continue serait d'autant plus développée que la formation initiale aurait été courte. Il faut rappeler à ce sujet pour éviter tout dérapage, que rien ne vaut une formation initiale de qualité.
Pour une bonne Sécurité sociale professionnelle, il est nécessaire d'écarter deux illusions.
La première illusion : considérer que la mobilité de l'emploi est une conséquence inéluctable des mutations technologiques.
La deuxième illusion : croire que la Sécurité sociale professionnelle puisse se substituer à la lutte contre les licenciements abusifs et pour le plein emploi.
Une véritable sécurité sociale professionnelle devra s'accompagner de toutes les mesures destinées à sécuriser l'emploi. Il s’agit d'un droit lié à la personne qui n'est pas contradictoire ni substituable mais complémentaire aux droits liés au contrat de travail.
10°) Renforcer les moyens de l’Inspection du travail
. L’établissement d’un réel contrôle par la République sur le pouvoir des employeurs et des actionnaires demandera un accroissement substantiel des effectifs et des moyens de l’inspection du travail. Le nombre de sections d’inspection qui est un des plus faibles d’Europe, sera au moins doublé pour permettre le respect des droits des 18 millions de salariés actifs dans le secteur privé. Il s’agit d’un choix de société : les lois de la République doivent l’emporter sur le marché, l’Etat de droit doit régner dans les entreprises comme ailleurs. Il faut remplacer la fumeuse « main invisible du marché » par la citoyenne « main visible de la démocratie ». Le bon combat, c’est celui pour que l’économie soit subordonnée aux besoins des humains et pas l’inverse. Toute cette bataille pour un nouvel ordre public social, devra être accompagné d’un renforcement du droit pénal du travail : sanctions effectives plus fortes, directives aux Parquets plus strictes contre la délinquance patronale. Par exemple et notamment le non paiement des heures supplémentaires sera fermement sanctionné : cela représente un milliard d’heures supp’ et 600 000 emplois en jeu, du salaire et des cotisations sociales. Il est insupportable pour une société équilibrée que « ceux d’en haut », et parmi eux, les chefs d’entreprise, ne montrent pas l’exemple, alors que les sanctions tombent drues sur les jeunes des banlieues sans travail et sans avenir.